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26 août 2012

EPIGENETIQUE ET ENVIRONNEMENT


Le terme d’épigénétique est attribué à Conrad Waddington qui, en 1942, l’a définie comme étant "la branche de la biologie qui étudie les relations de cause à effet entre les gènes et leurs produits, faisant apparaître le phénotype". Watson et Crick sont ensuite passés par là et, en 1953, nous ont fait admirer la structure tridimensionnelle de la double hélice d’ADN de nos chromosomes. L’ADN détenteur et responsable du codage des caractéristiques héréditaires est devenu alors le centre des préoccupations des généticiens et des biologistes, faisant mettre entre parenthèses les aspects de l’épigénétique. Ce n’est que depuis quelques années que la science tente de lever le voile sur la manière dont se joue notre partition génétique, celle-ci pouvant être modifiée d’une génération à l’autre, sans que la séquence d’ADN n’ait subi de changement.



L’épigénétique, comment ça marche ?


Le corps humain est constitué de centaines de cellules différentes  alors que celles-ci sont toutes issues d'un seul ovocyte féminin fécondé à partir duquel se différencient les diverses cellules souches. Si le patrimoine génétique de chaque cellule est identique sur ses quelques 21.000 gènes codants en doublon, (sauf pour les cellules germinales), l'activité spécialisée du neurone n’a bien sûr rien à voir avec celle du leucocyte. Au fur et à mesure que les cellules se développent, leur destinée va être dictée par une programmation spécifique avec la répression ou a contrario l'activation de certains gènes. Ce sont ces derniers processus qui sont régis par des facteurs épigénétiques. La définition de l'épigénétique la plus couramment admise actuellement est l’étude des changements dans l'expression des gènes, ayant lieu sans altération de la séquence ADN. Comme l’écrit très bien C. Junien :"En réponse à des programmes génétiques et épigénétiques orchestrés avec précision, les tissus et les organes sont façonnés, alternant prolifération, différenciation et apoptose"(1).

L'épigénétique est donc une approche modifiant complètement les théories de la transmission génétique classique Mendélienne (transmission dominante ou récessive, apparition de mutations) et la théorie de la sélection Darwinienne. A côté de la transmission classique et stable du patrimoine génétique, l'épigénétique base son approche sur les variations de l’expression des gènes induites par l'environnement (exogène ou endogène), sans modifier la séquence des nucléotides du gène. Ces modifications épigénétiques sont instables et réversibles. Elles peuvent avoir un caractère transitoire dans la journée et être influencées par les rythmes circadiens ainsi que par des signaux nutritionnels (1). Le caractère réversible de ces altérations (à la différence des mutations génétiques), leur rapidité de mise en action (à la différence de la sélection darwinienne beaucoup plus lente) permettent de leur attribuer un rôle dans les processus d'adaptation rapide. 


A côté de ce façonnage dépendant de l’environnement du génome, il existe un phénomène qualifié « d'empreinte parentale ». Si la majorité des gènes sont identiques dans les génomes paternel et maternel, quelques dizaines sont soumis à des empreintes parentales, ne s'exprimant alors qu'à travers le chromosome soit paternel soit maternel (3). Dans ce type de modification épigénétique, un seul allèle soit paternel, soit maternel s'exprime, l'autre étant rendu muet.  Bien évidemment l'expression est différente selon que "l'allèle est hérité de la mère ou du père" (4). 

L’épigénétique serait ainsi une réponse aux stimuli environnementaux durant toute la vie. Son impact sur la santé semblerait cependant, pour certains (2,4), beaucoup plus notable lorsqu’elle intervient pendant la vie fœtale et les deux premières années de vie. Ce concept de «programmation fœtale» revient à D.J. Barker . Celui-ci, à la fin des années 80, avait émis l'hypothèse d'un lien entre la vie intra-utérine qui, en induisant un phénotype d'épargne chez le fœtus (hypotrophie) avait des conséquences cardio-vasculaires à l'âge adulte. Cet impact durable est connu sous le terme générique anglo-saxon de DOHaD (Developmental Origins of Health and Diseases) que l’on peut traduire par "programmation précoce de la santé et des maladies"

Quels sont les mécanismes intimes qui vont réguler le fonctionnement du génome et y déterminer cette «empreinte épigénétique» ou épigénome?


- Les profils de méthylation de l'ADN en sont les premiers acteurs. L'hyperméthylation diminue l'expression du gène (5) et peut en empêcher la lecture. A l'inverse, la déméthylation de l'ADN permettra la transcription du gène. Les profils de méthylation du génome subissent de profondes modifications au cours de la gamétogenèse et du développement embryonnaire. L'observation princeps de cette méthylation revient à Wolff. Il a pu démontrer que des modifications alimentaires spécifiques modifient l'expression du gène « agouti » chez la souris. Selon le degré de méthylation de ce gène, on induit une modification de la couleur du pelage, mais aussi l'apparition d'un phénotype obésité dans sa descendance, soulignant les conséquences trans-générationnelles possibles des modifications épigénétiques (6).  

- La modification structurale des histones en permettant un «compactage» plus ou moins important de la chromatine peut rendre un gène actif ou silencieux, c’est-à-dire permettre ou empêcher son expression. Ainsi la désacétylation ou la méthylation des histones associées à une région de l’ADN empêche l’expression des gènes situés dans cette région. 


- Les micro-ARNs sont des ARN «simple brins» d’une vingtaine de nucléotides, qui, en s’appariant spécifiquement à certains ARN messagers, en répriment la traduction (absence de synthèse de la protéine correspondante) et peuvent provoquer leur dégradation. A la différence des deux autres mécanismes, l'action des micro-ARNs se situe avant la synthèse protéique et en permet donc un ajustement précis, en particulier quantitatif. 

Si les actions épigénétiques peuvent être transitoires, certaines modifications biochimiques vont altérer l'expression d'un gène ou la supprimer de manière durable, sur plusieurs décennies chez un individu donné ou même pouvoir être transmises à la génération suivante lorsque l'altération est stable. L'épigénétique serait alors la voie de transmission transgénérationnelle de caractères acquis et les effets (obésité, diabète…) pourraient être observés sur plusieurs générations en dehors de tout stimulus (3)

Comment notre environnement utilise l’outil épigénétique ?


A côté des effets adaptatifs à mettre sur le compte de l'épigenèse, trois situations environnementales peuvent illustrer les conséquences possiblement délétères de cette empreinte génétique.


1 - Un environnement toxicologique délétère. Chez la souris il existe une  corrélation entre une concentration urinaire de bisphénol A (BPA) en début de grossesse et la survenue de troubles du comportement à type d'agressivité et d'hyperactivité dans la progéniture (2).  Chez le rat adulte exposé en période néonatale au même bisphénol, on retrouve une hyper-méthylation des récepteurs œstrogéniques des testicules, source d’altérations de la spermatogenèse (10). Chez le rat toujours, une exposition maternelle au BPA entraînerait dans leur descendance des  troubles des conduites sexuelles ou des comportements maternels (2). Le BPA a été rendu aussi responsable, sur des modèles animaux, de risques accrus de cancers (5), de modifications de l'organogenèse utérine  par trouble de la programmation développementale (11).


Chez l’homme, l'environnement chimique peut modifier l'expression des micro-ARN qui régulent les gènes (9). Il a été mis en évidence que quelques micro-ARNs ont une expression différente dans les cellules épithéliales bronchiques des fumeurs versus les non-fumeurs, trouvant là une explication potentielle du rôle carcinogène du tabac. Ces mécanismes épigénétiques se surajoutent aux mutations génétiques classiques occasionnées par les multiples composants carcinogènes du tabac.  Dans le domaine de la cancérogenèse, le rôle du bisphénol a été évoqué à travers un mécanisme épigénétique dans la transformation maligne in vitro de cellules pulmonaires humaines (8)

De manière plus générale il est reconnu que les perturbateurs endocriniens peuvent modifier l'épigénome (2). Les mécanismes épigénétiques représentent une des voies les plus plausibles à travers lesquelles les toxiques environnementaux, tels le BPA, peuvent exercer leurs effets pathogènes à long terme (2). Les spécialistes de ce sujet parlent désormais «d’origines toxiques développementales des pathologies chez l’enfant et  l’adulte ».



2 - Un environnement biologique inadéquat de la grossesse peut entraver la croissance de l’enfant dans le cadre d’une «programmation fœtale». La malnutrition maternelle peut faire apparaître chez le fœtus un «phénotype d'épargne», qui persiste après la naissance alors que les apports nutritionnels sont devenus corrects voire trop importants. A contrario, un syndrome métabolique de la femme enceinte est responsable d’une trajectoire de croissance «chaotique» chez l'enfant. Celui-ci naît avec un retard de croissance intra-utérin et peut parfois réaliser ensuite un rattrapage de poids trop rapide après la naissance (1) (4).


Deux syndromes pédiatriques sont l’illustration du rôle de l’empreinte épigénétique sur le dérèglement de la croissance (12). Le syndrome de Silver-Russel est une affection associant un retard de croissance pré et post-natal sévère, une asymétrie corporelle et une dysmorphie faciale. Il serait habituellement lié à une altération du gène IGF 2 (Insuline growth factor) situé sur le chromosome 11p15 par mutation épigénétique.

Le syndrome de Becwith-Wiedemann comporte au contraire une macrosomie, une macroglossie avec hémi-hypertrophie, hypoglycémie néo-natale et risque ultérieur de tumeurs (13). Son origine est là aussi une « épimutation » de la même zone chromosomique, mais aboutissant cette fois à une augmentation d’expression de l’IGF2.

3 - Un environnement social et psychologique peut enfin avoir un rôle important en matière d’épigénétique. Il a été démontré que la méthylation du gène du récepteur des glucocorticoïdes dans l'hippocampe est différente entre les souriceaux de mères prodiguant un bon niveau de soins maternels et celles qui ne les prodiguent pas (1)Dans l'espèce humaine: "l'examen du gène codant pour le promoteur d'un récepteur aux hormones glucocorticoïdes chez un groupe d'hommes décédés par suicide a montré une plus grande méthylation de ce gène et une baisse de son activité chez ceux qui avaient été maltraités pendant leur enfance" (14).

Que conclure ?


Le domaine de l’épigénétique est apparu pour combler la brèche entre l’inné et l’acquis. A la différence de la génétique classique et de la sélection naturelle, mécanismes avec une forte inertie dans le temps, l'épigénétique est un puissant mécanisme d'adaptation ou de réponse rapides des populations humaines à des variations de leur environnement. Si, ces modifications peuvent être bénéfiques, elles peuvent être aussi délétères et la réponse aux polluants chimiques, dont les perturbateurs endocriniens, en est une réponse criante. Elles ont aussi comme particularité de pouvoir déboucher sur des effets trans-générationnels (diabète, obésité, syndrome métabolique…) qui peuvent expliquer ces nouvelles «épidémies» de maladies non transmissibles du monde industrialisé. Elles convoquent à ce titre la santé environnementale (1516).


Dominique LE HOUEZEC


Bibliographie
(1) Junien C. and al. Épigénomique nutritionnelle du syndrome métabolique. Médecine /Sciences 2005, 4, (21): 396-404 
(2) Kundakovic M., Champagne FA.: Epigenetic perspective on the developmental effects of bisphenol A. Brain Behav. Immun. 2011, 25 (6):1084-1093
(3) Junien C. Obésité et diabète de type 2. L'hypothèse de la transmission épigénétique.  Cah. Nutr. Diet. 2002, 37 (4) : 261-272 
(4) Simeoni U. Epigénétique, nutrition, et santé durable.  Site I-Diététique.Pro Paris. 31 mars 2010 
(5) Bollati V, Baccarelli A. Environnmental epigenetics. Heredity. 2010, 105: 105-112  
(6) Wolff G.L. and al. Maternal epigenetics and methyl supplements affect agouti gene expression in Avy/a mice. FASEB J. 1998, 12: 949-957 
(7) Tan A. Jimeno A. Characterizing DNA methylation patterns in pancreatic cancer genome.  Mol. Oncol. 2009, 3 (5-6): 425-438
(8) Weng Y, Hsu PY. Epigenetics influences of low-dose bisphenol A in primary human breast epithelial cells. Toxicol. Applied Pharmacol.. 2010, 248 (2): 111-121
(9) Hou L. and al. Environmental chemicals and microRNAs. Mutat. Res. 2011, 714 (1-2): 105-112
(10) Doshi T. and al. Hyperméthylation of estrogen receptor promotor region in adult testis of rats exposed neonatally to bisphenol A. Toxicology. 2011, 289 : 74-82
(11) Bromer J.G. and al. Bisphenol-A exposure in utero leads to epigenetic alterations in the developmental programming of uterine estrogene reponse. FASEB J. 2010, 24: 2273-2280  
(12) Schwitzgebel V.M. Rôle de l'épigénétique dans le diabète et la croissance. Rev. Med. Suisse 2007, 3 : 533-537
(13) Nicolle M. Les asymétries corporelles. Thèse médecine Caen 1975
(14) Mac Gowan P.O. Epigenetic regulation of the glucocorticoid receptor in human brain associates with childhood abuse. Nat. Neurosc. 2009, 12: 342-348
(15) Gabory A. Attig L. Junien C. Developmental programming and epigenetics. Am. J. Clin. Nutr. 2011, 94 (suppl): 1943-52 http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22049164
(16) Su L.J. and al.: Epigenetic contributions to relationship between cancer and dietary intake of nutrients, bioactive food components, and environmental toxicants. Front. Genet. 2011, 2, 91 

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