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7 février 2016

DONNEZ-MOI CE SEIN QUE JE SAURAI BOIRE



RENOIR (1886) Musée d'Orsay
L'homme appartient à la classe des mammifères qui par définition sont pourvus de mamelles. Depuis le début de l'humanité, le sein maternel a donc pour fonction naturelle de nourrir l'enfant que chaque mère a porté ("en son sein" dit-on même parfois). La pratique de cet allaitement maternel a connu au fil des siècles et des civilisations des fluctuations notamment en fonction de la place des femmes dans la société. Devant un déclin notable de cet allaitement vers la fin du XXème siècle, l'OMS et l'UNICEF ont activement relancé sa promotion, mettant en avant son importance vitale pour la santé des enfants des pays du Tiers monde. Outre ses qualités nutritionnelles, le lait maternel présente des avantages en matière de santé que l'on découvre au fil des années et des études qui sont lui sont consacrées. Une récente étude internationale de grande envergure [1] vient conforter sur le plan scientifique les bénéfices  multiples de ce mode d'alimentation idéal.


Ce travail de compilation énorme et prolongé, a été dirigé par le Dr Cesar VICTORA, professeur émérite d’épidémiologie à l’Université fédérale brésilienne de Pelotas. Il reprend les données de 22 articles et/ou méta-analyses antérieures portant sur les effets possibles de l'allaitement maternel sur la mortalité, différentes maladies infantiles ainsi que des pathologies apparaissant à l'âge adulte, agrégeant les données recueillies dans 164 pays. Ce travail a été financé par la fondation Bill et Melinda Gates ainsi que par le Wellcome Trust britannique.

Tendances épidémiologiques


Les données recueillies concernant les modalités de l'allaitement maternel dans différents pays sont très différentes selon le niveau de vie du pays. Elles opposent globalement ce qui se passe dans les pays riches et dans les régions de revenus moyens ou les pays pauvres, probablement associées aussi à des facteurs culturels. Les enfants nés dans les pays de haut niveau de vie sont allaités nettement moins longtemps que ceux des pays de niveau de vie moyen ou bas. Cependant même dans ces régions seulement 37% des nourrissons reçoivent un allaitement exclusif jusqu'à l'âge de 6 mois.
  
Quelque soit le niveau de vie, la plupart des mères démarrent initialement un allaitement maternel, sauf trois pays  où ce pourcentage est de moins de 80%(Espagne, France et USA)La proportion d'enfants encore allaités à 6 et 12 mois reste très majoritaire (aux alentours de 90%) dans les pays à moyen ou bas revenus. Parmi ceux-ci, les pays d'Afrique subsaharienne, d'Asie du sud et de certains pays d'Amérique latine ont un taux de prévalence d'un allaitement encore présent à 12 mois parmi les plus forts. Dans ces pays, il existe des disparités selon les revenus, les personnes pauvres prolongeant plus longtemps la durée de l'allaitement. 

Dans les pays riches, ce taux d'allaitement à 12 mois est en moyenne aux alentours de 20% avec de très fortes disparités dans ces régions (Japon 60%, Norvège 35%, Australie 30%, USA 27%, Allemagne et Espagne 23%, Italie 19%, Suède 16%, Grande-Bretagne 0,5%), l'allaitement maternel étant plus le fait de personnes à revenus élevés et ayant suivi des études longues.

En France, les données transmises par l'INVS (Institut national de veille sanitaire) pour la période 2012/2013 montrent qu'il existe un allaitement maternel initial chez 63% des bébés. Ceux qui sont encore allaités à 6 mois ne sont plus que 23% et 9% à un an (une précédente étude, parue en septembre 2015, le situait même autour de 5 %).

Pourcentage d'enfants nourris au moins partiellement au sein à douze mois.
Pourcentage d'enfants allaités à 12 mois (153 pays 1995-2013)

Rappelons que l'OMS (Organisation mondiale de la santé) recommande pour tous les enfants une première tétée au sein dès la naissance, un allaitement maternel exclusif jusqu'à l'âge de 6 mois et un allaitement partiel jusqu'à deux ans. 

Des bénéfices immédiats en matière de santé de l'enfance

Dans les pays à bas ou faible niveau de vie, l'allaitement maternel a un impact certain et important sur le risque vital du nourrisson. Les enfants qui ne sont pas allaités ont un risque de décéder avant l'âge de 6 mois qui est de 3,5 fois (garçons) à 4,1 fois (filles) plus élevé que les enfants qui ont été mis au sein. Au delà et jusqu'à 23 mois, ce risque n'est plus qu'environ deux fois plus important. Dans les pays de fort niveau de vie, le risque vital est aussi notable puisque l'on note une réduction de 36% du taux de morts subites du nourrisson dans la population des enfants allaités.

La fréquence de l'entérocolite nécrosante  (affection surtout rencontrée chez le prématuré, occasionnant hémorragies intestinales voire perforations et donc fréquemment fatale), est diminuée de plus de moitié (58%).

Taux de mortalité de l'enfant de moins de 5 ans pour 1000 naissance vivantes (OMS 2010)

Le taux des gastro-entérites est divisé de moitié, surtout dans les études réalisées dans les pays de faible niveau de vie, et l'on y observe un tiers d'infections respiratoires en moins chez les enfants allaités. Les taux d'hospitalisation pour ces deux types d'infections parmi les plus fréquentes chez le nourrisson y est encore plus réduit. L'allaitement maternel évite 72% des admissions pour diarrhée et 57% pour les infections respiratoires.  

Cette étude suggère également une protection contre la survenue d'otites chez l'enfant de moins de 2 ans.

Par contre, il n'est pas retenu de protection évidente contre la survenue d'eczéma, ou d'allergies alimentaires chez l'enfant de moins de 5 ans. La méta-analyse de 29 études portant sur l'asthme montre une protection qui parait minime (5 à 9%) dans la population des enfants allaités.

L’allaitement au sein protège nettement (68%) de l'apparition d'une malocclusion dentaire. Par contre l'allaitement prolongé au-delà d'un an, avec des tétées nocturnes, expose à un plus grand risque de caries, possiblement du fait d'une hygiène buccale inadéquate après les tétées. 

La leçon majeure de cette compilation est que la généralisation de l’allaitement maternel pourrait éviter le décès de 823.000 enfants de moins de cinq ans dans le monde chaque année, tout en prévenant dans le même temps les plus fréquentes pathologies infantiles. Elle confirme l’estimation, déjà retenue par l’OMS, de la survenue de 800.000 décès d’enfants évités. "Le lait maternel agit comme premier vaccin pour le bébé en l’aidant à combattre les maladies " explique Cesar VICTORA, rapporteur de l’étude, en entrevue au réseau télévisé CNN et le qualifie aussi de "most specific personalised medicine" (médicament personnalisé le plus spécifique). 

L'intérêt majeur de cette méta-analyse de données scientifiques robustes est de mettre en évidence que les bienfaits de l'allaitement ne concernent pas seulement les pays en voie de développement comme on l’imagine parfois : " Il existe une idée fausse très répandue selon laquelle les bénéfices de l’allaitement maternel ne concernent que les pays pauvres... Notre travail montre clairement que l’allaitement maternel épargne des vies et de l’argent dans tous les pays, riches aussi bien que pauvres."

Très certainement quelques effets à plus long terme


Un allaitement prolongé est associé avec une réduction de 26% des taux de surpoids et d'obésité, quelque soit le niveau de vie du pays.

L'incidence du diabète de type II parait diminuée de 35% en reprenant l'ensemble de 11 études retenues. Mais lorsque l'on ne sélectionne que les 3 publications de très bonne qualité, ce chiffre est encore favorable, mais non significatif du fait de taux extrêmes trop éloignés. Une autre revue antérieure parait montrer un possible effet protecteur envers l'apparition d'un diabète de type I. Il n'a pas été retrouvé d'effet protecteur contre l'apparition d'une HTA ou d'une hypercholestérolémie. 

On retrouve enfin, de façon régulière, chez les enfants et les adolescents qui ont été allaités de meilleurs résultats aux tests de niveau intellectuel (QI). Les données chiffrées globales de 16 publications retrouvent une augmentation moyenne de 3,4 points de ces tests (avec les facteurs de confusions associés pouvant également influencer ces résultats, stimulations familiales, niveau intellectuel des parents...). Une précédente étude du Pr. VICTORA, portant sur un échantillon de 3.493 enfants brésiliens revus à l'âge de 30 ans, montrait déjà des résultats similaires [2]. La durée de l'allaitement y était de plus nettement corrélée avec le niveau du QI, la réussite scolaire et le niveau de revenus à l'âge adulte.

Les mères qui allaitent en profitent aussi


Une revue rétrospective récente [3] a démontré le lien entre un allaitement de plus d'une année et une diminution globale (26%) de l'incidence du cancer du sein, le sous-groupe des pays industrialisés objectivant une réduction moindre (9%). Si l'on tient compte de la parité, chaque grossesse prolongeant d'autant la durée de l'allaitement, la diminution du risque serait de 4,3% par année d'allaitement. 


maternité italienne
Gino SEVERINI  "Maternité" (1916)
La fréquence du cancer de l'ovaire est également minorée (37%) en cas d'allaitement prolongé. Le risque de survenue ultérieure d'un diabète de type II est également minoré (32%). La lactation est associée à une période d'aménorrhée prolongée qui est un facteur favorable en ce qui concerne l'espacement des naissances dans les pays en voie de développement. Le lien avec l'existence d'une ostéoporose ultérieure n'est pas retrouvé. 

Les mères qui allaitent sont moins sujettes à la dépression du post-partum, mais " il est plus probable que ce soit la dépression qui affecte l'allaitement, que l'inverse" commentent les auteurs.

Selon les auteurs de cette méta-analyse (47 publications portant sur 30 pays), la pratique généralisée de l'allaitement maternel réduirait de presque 20.000 cas le nombre annuel de décès par cancer du sein.

Le point de vue des économistes


Un article de la même revue [4] tente d'apprécier les retombées économiques de l'allaitement maternel en terme de coûts de santé. L'auteur ne fait pas dans la nuance en affirmant que si l'allaitement n'existait pas, son inventeur mériterait un double prix Nobel, en médecine et en économie :"If breastfeeding did not already exist, someone who invented it today would deserve a dual Nobel Prize in medicine and economics".

Le surcoût de cancers féminins évitables si l'allaitement maternel était plus prolongé se chiffre en milliards de dollars. La réduction de fréquence des maladies infantiles si les nourrissons étaient allaités jusqu'à 6 mois serait notable pour la santé mais aussi les finances publiques. Si ce taux d'allaitement au premier semestre de vie passait du taux actuel de 49% à 90% aux USA, le système de santé américaine économiserait 2,4 milliards de dollars chaque année. 

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Sur un autre versant économique, un médecin de l'OMS rappelle l'ampleur du marché mondial des substitut du lait maternel[5]. Les ventes mondiales de lait artificiel ne cessent de s’accroître grâce à une politique commerciale agressive qui concurrence négativement les efforts déployés pour promouvoir l'allaitement. Le marché du lait artificiel était de presque 45 milliards de dollars aux USA pour l'année 2014 et pourrait dépasser, selon les prévisions, 70 milliards en 2019. Ce marché énorme explique les multiples assertions des industriels vantant les qualités de leurs produits en matière de nutrition infantile. On a transformé ces substitut du lait en aliments spécialisés ayant une importance vitale pour les bébés qui ne peuvent pas être nourris au sein. Afin d'élargir sa clientèle, le marketing et le lobbying ont joué à plein: " La saturation des marchés dans les pays riches a poussé les industriels à pénétrer rapidement les marchés émergents " explique le Dr ROLLINS. En 1977, un pamphlet avait dénoncé cette invasion des pays du Tiers-monde aboutissant à un abandon des traditions maternelles d'allaitement par le raccourci "Nestlé tue les bébés" [6]

En conclusion,


Tous les gouvernements responsables devraient prendre en compte l’importance majeure en matière de santé publique de la promotion et de l'aide à apporter en matière d'information et de soutien à l’allaitement maternel. "L'allaitement au sein est supérieur à ses substituts lactés sur tous les plans nutritionnel, immunologique, hormonal, économique, écologique. Il ne nécessite aucun contrôle de qualité, de transport ni de stockage" [7] 

L'allaitement maternel est décrit classiquement comme dépourvu de coût. C'est inexact. Il nécessite de déployer de lourds investissements pour vaincre les barrières socio-politiques ". Il demande des politiques en faveur de l’allaitement au sein « à tous les niveaux, famille, communauté, travail, gouvernement » ainsi qu'une inscription de cette pratique parmi les « objectifs du développement durable ». Ceci est possible si une volonté politique réelle accompagne ce principe. Par exemple, au Brésil, la durée de l'allaitement est passée de 2 mois 1/2 dans les années 1974-1975 à 14 mois en 2006-2007 grâce à une politique volontariste des services de santé et des campagnes d'information multiples.

Allaiter au sein ou au biberon est bien évidemment une question de choix individuel pour chaque mère. Il n'y a pas lieu de stigmatiser les femmes qui choisissent le biberon pour nourrir leur enfant comme il est pathologique de pointer du doigt les mères qui allaitent de façon prolongée. Ce numéro spécial du Lancet sur l'allaitement apporte une vision globale et mondiale sur ce mode d'alimentation. Il en rappelle et en démontre scientifiquement les multiples bénéfices aussi bien pour le public que pour les professionnels de santé et espérons-le pour nos politiques.  

Dominique LE HOUEZEC



[1] Victora CG, Bahl R, Barros AJD,  França GVA, Horton S, Krasevec J, Murch S, Sankar MJ, Walker N, Rollins NC, for The Lancet Breastfeeding Series Group : Breastfeeding in the 21st century: epidemiology, mechanisms, and lifelong effect. The Lancet 2016; 387 (10017):475–490
[2] Victora CG. Association between breastfeeding and intelligence, educational attainment, and income at 30 years of age: a prospective birth cohort study from Brazil Lancet Global Health 2015; 3 (4): e199–e205
[3] Chowdhury R. Breastfeeding and maternal health outcomes: a systematic review and meta-analysis. Acta Paediatr. 2015 Dec;104(467):96-113
[4] Hansen K. Breastfeeding: a smart investment in people and in economies. The Lancet 2016; 387 (10017): 416
[5]  Rollins N.C Why invest, and what it will take to improve breastfeeding practices?  The Lancet 2016, 387 (10017) :491–504
[6] Wikipedia : Boycott de Nestlé
[7] McFadden A. Spotlight on infant formula: coordinated global action needed. The Lancet 2016. 387(10017) : 413–415

2 commentaires:

  1. Une remarque sur les dépressions maternelles. Les auteurs soulignent qu’il y en a moins chez les femmes allaitantes. Cela semble logique quand on connaît les bénéfices de l’ocytocine sur la confiance en soi, surtout dans le cadre d’un allaitement réussi où la mère est généralement fière d’elle-même et de ses capacités à nourrir son enfant. Dans les allaitements de plusieurs mois, beaucoup de mères précisent que leur allaitement les a réconciliées avec elles-mêmes. Voilà donc de bonnes conditions pour neutraliser un terrain dépressif initial chez telle ou telle femme. A contrario, parmi celles qui n’allaitent pas, il y en a beaucoup qui n'ont allaité que quelques jours. Celles-là concluent généralement qu’elles sont fautives (pas assez de lait, mauvais lait, etc…) alors que, le plus souvent, ce sont les conseils donnés pendant les premiers jours qui étaient mal adaptés, voire antiphysiologiques. Bref, ces femmes ont un sentiment d’échec qui favorise la dépression maternelle ultérieure. Donc, ce n’est pas vraiment la dépression post-partum qui conduit au non-allaitement, mais plutôt l’échec d’allaitement qui est une cause importante de dépression post-partum plus ou moins tardive


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  2. Le lait maternel est idéal pour les nouveau-nés, car il correspond parfaitement aux besoins des tout-petits dès la naissance. Ce n’est donc pas pour rien que l’allaitement est recommandé par l’OMS, exclusivement au sein jusqu’à l’âge de 6 mois, puis en complément d’une alimentation solide jusqu’à l’âge de 2 ans. Dès le début de la grossesse, le corps de la future maman se prépare à nourrir son enfant et l’on peut dire que la nature est bien faite ! Le lait maternel est adapté aux besoins du bébé : lors des premiers jours de la vie, le lait est plus liquide et riche en eau et en sucres pour devenir par la suite plus riche en graisses. Naturellement, le bébé boit ce dont il a besoin et s’arrête une fois qu’il se sent rassasié. Et plus il tète, plus il y a de lait. En savoir plus sur:http://allaitement-maternel.confort-domicile.com/

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