La vaccination contre l’hépatite A est fréquemment recommandée à l’occasion
de voyages.
Que faut il en penser ?
L’hépatite A est une maladie qui a beaucoup de points communs avec la poliomyélite. Bien sûr, elle n’atteint
pas le système nerveux et n’est pas grave, mais elle pose du point de vue épidémiologique
des problèmes analogues.
Il est essentiel pour ces deux maladies de distinguer nettement entre l’infection et la maladie. Il y a une hépatite-infection et une hépatite-maladie, comme il y a une poliomyélite-infection et une poliomyélite-maladie.
Lorsque dans un pays, il n’y
a pas de circulation de virus il n’y a pas d’infection et il n’y
a pas de maladie. Lorsque à l’inverse, il y a beaucoup de virus qui circulent, l’infection est la règle et cela très tôt au cours de la
vie. Les nourrissons et
les jeunes enfants sont
infectés très tôt à un âge où
ils ne font pas de maladie apparente. L’infection à un âge
où ils sont encore protégés par les
anticorps maternels n’est pas suivie de maladie mais elle entraîne
une immunisation durable.
Il y a donc deux situations au cours desquelles la maladie est rare : celle
où il n’y a pas de virus et
celle où il y a énormément de virus en circulation. La situation la pire étant la situation
intermédiaire.
Le risque de faire la
maladie dessine une courbe en cloche.
On comprend que dans
certains pays l’amélioration des
conditions d’hygiène peut aggraver la situation.
Et l’histoire de la poliomyélite illustre parfaitement ce paradoxe : Ce sont les pays les plus développés (pays scandinaves, USA) qui
ont vu exploser les cas de
poliomyélite paralytique
dans les années 1920- 1940
L’hépatite A est-elle une maladie grave ?
Dans la très grande majorité des cas l’hépatite A est une maladie bénigne. Elle est très souvent inapparente chez les jeunes enfants ou n’entraîne que des troubles modérés et peu durables : un vomissement, un manque d’appétit pendant un ou deux jours, une sieste plus longue 1 ou 2 jours (expérience personnelle lors d’une épidémie à la maternité de Bénouville).
Chez l’adulte, elle reste pour l’essentiel une affection bénigne dans plus de 80% des cas, mais il existe des formes où les manifestations sont gênantes et
prolongées avec une fatigue pendant un mois notamment. Il existe aussi des
formes graves. Ces formes sont rares
et surviennent surtout lorsque le foie est préalablement lésé, mais on peut voir
de façon très rare des formes graves chez un sujet antérieurement sain.
Faut-il vacciner tout le monde ?
Le Pilly 2012, maladies infectieuses et tropicales, répond "Une vaccination préventive
généralisée paraît disproportionnée". Mais il ne dit pas pourquoi cela paraît disproportionné. Ensuite, il
énumère de nombreux cas où une vaccination ciblée est
proposée.
Cette attitude revient à dire que certaines personnes doivent être vaccinées, mais les auteurs ne disent pas quelle proportion (approximative) de la population devrait être vaccinée et ils ne se demandent pas non plus si cette vaccination d’une partie de la population aura ou non
des répercussions sur la partie non vaccinée de celle-ci.
Un livre destiné aux étudiants en
médecine qui ne se préoccupe que
de l’aspect individuel, c’est
regrettable mais c’est habituel. La médecine a longtemps été
envisagée comme la réparation de l’individu malade ou même comme réparation d’un organe malade. Les
notions de prévention, d’épidémiologie, d’évaluation et de santé publique lui ont longtemps été largement étrangères.
Mais l’absence d’intérêt pour la santé publique est plus choquant quand il se manifeste dans un livre tel que le Guide des vaccinations 2012. Ce guide ne propose pas non plus la vaccination de tous, mais il
ne dit pas pourquoi et surtout il l’énonce d’une façon assez étrange. "La
vaccination n’est pas obligatoire, mais peut être recommandée
pour protéger
l’individu à risque, c’est-à-dire toute personne non immune
exposée, lors
de ses activités professionnelles, à l’occasion de voyages ou séjours
dans des
pays d’endémie ou du fait de la survenue d’un cas dans son entourage". Ensuite, il donne quelques précisions qui ne modifient
en rien le message.
Cette
formulation est étrange parce que
la vaccination n’est pas obligatoire, c’est une évidence qui ne mérite pas d’être rappelée, sauf pour ceux qui
confondent ce qui est souhaitable, ce qui est indiqué et ce qui est
obligatoire.
Plus concrètement dire ce n’est pas obligatoire permet de ne pas affronter sérieusement la question qui est : est ce souhaitable, et si oui dans
quels cas ?
Mais
c’est la suite du texte qui témoigne de l’irresponsabilité en
matière de santé publique des responsables de ce texte (qui sont en même temps, il faut le rappeler pour le déplorer, ceux qui sont en charge de conduire la politique sanitaire de notre beau pays).
Ils
écrivent "Le risque de contracter une forme grave d’hépatite A doit aussi
être pris en considération.
La sévérité de la maladie s’accentue avec l’âge. Il existe aussi
des formes
graves chez l’enfant : 25 % des hépatites aiguës graves de l’enfant
sont dues
au VHA".
Je ne sais pas d’où vient ce 25 % et les auteurs ne le disent pas. Mais admettons qu’un quart des hépatites graves
soient dues au virus de l’hépatite
A, cela serait un argument plus fort pour la vaccination si le nombre
total des hépatites graves était élevé. Mais là encore, ce texte ne nous le dit pas. On
ne sait donc pas combien il y a d’hépatites graves, on ne sait
pas non plus combien il y a d’hépatites A graves, mais on sait, ou du moins on est prié de croire, qu’elles représentent 25 % du total des cas.
Si
j’y insiste, c’est parce que
ceci est fondamental. Il est très important de savoir s’il y a des cas graves et combien. Ce qu’écrivent les rédacteurs du Guide des vaccinations me
semble sur ce point irresponsable.
Dans
un avis du HCSP ou Haut Conseil de la santé publique (qu'ils citent eux-mêmes), il est écrit, ce qui est nettement plus prudent et plus juste : "L’hépatite A est habituellement bénigne, mais
peut cependant être à l’origine de formes graves (exceptionnellement mortelles,
frappant alors surtout les patients affectés par une pathologie hépatique
chronique). Les formes symptomatiques, d’évolution prolongée, et les formes
graves sont plus fréquentes chez l’adulte".
L'OMS apporte à ce sujet également des données plus proches de la réalité de terrain : "Les enfants de moins de six ans ne présentent en général aucun symptôme visible et seuls 10% d’entre eux développent un ictère. Parmi les enfants plus âgés et les adultes, l’infection provoque en général des symptômes plus graves, un ictère survenant dans plus de 70% des cas".
Dans une expertise collective de 1997 sur les hépatites virales (1), l'INSERM fournit des données épidémiologiques plus précises sur ce risque de mortalité : "Elle dépend de l'âge du malade et, peut-être, de l'état antérieur du foie (infection par le VHB ou autre infection chronique). L'étude de Hadler (2) a permis de constater que la mortalité, qui est de de 0,004% chez les enfants de 5 à 15 ans, atteint 2% environ chez les adultes de plus de 45 ans. Ce fait a également été observé en Grande-Bretagne (3)".
Je crois pour ma
part (mais ce serait à des experts confirmés et à des sociétés savantes de pédiatrie et de pathologie infectieuse de donner leur avis) que les hépatites A graves chez l’enfant sont absolument exceptionnelles. Je crois que les évoquer dans le cadre d’une réflexion
sur les indications de la vaccination, c’est faire preuve de beaucoup de légèreté. Je crois que d'y associer un pourcentage (25%) dont on ne
sait d’où il vient, c’est pousser le
bouchon une peu loin (pour employer une
expression triviale mais qui dans ce contexte est bien
adaptée).
Jean-Pierre LELLOUCHE
(1) Hépatites virales. Dépistage, prévention, traitement. Expertise collective. Editions INSERM 1997
(2) HADLER SC. Global impact of hepatitis A virus infection changing paterns. In : Viral hepatitis and liver disease. Hollinger FB, Lemon SM, Margolis HS. Eds. Baltimore : Williams and Wilkins 1991, 76-81
(3) FORBES A, WILLIAMS R. Changing epidemiology and clinical aspects of hepatitis A. Br Med Bull 1990, 46 : 303-318
JP LELLOUCHE nous apporte dans ce texte des informations intéressantes sur les modes de transmission et les risques de l'hépatite A.
RépondreSupprimerIl ne répond cependant pas vraiment à la question posée dans le titre, à savoir quels enfants vacciner contre l'hépatite A.
Sur le site de l'INVS (Institut de veille sanitaire, on lit sur ce sujet des réponses paraissant contradictoires et embarrassées.
Il est d'abord souligné que l'éviction de cette infection à transmission orale est plutôt aisée "La prévention de l’hépatite A repose sur l’hygiène personnelle et collective, en particulier l’hygiène des mains. La transmission inter-humaine de l’hépatite A peut être prévenue en respectant quelques règles simples d’hygiène : se laver les mains (après être allé aux toilettes, après avoir changé la couche d’un bébé, avant de préparer les repas, avant de manger et de donner à manger aux enfants)".
Puis en abordant le chapitre de la vaccination, les auteurs se retranchent prudemment derrière les avis du calendrier vaccinal et du HCSP. Il serait conseillé de vacciner tous les enfants de plus de 1 an voyageant en zones d’endémie (pays d’hygiène précaire) ainsi que ceux dont l’un des membres (au moins) est originaire d’un pays de haute endémicité et qui seront susceptibles d’y séjourner.
Faudrait-il donc vacciner systématiquement tous les enfants qui voyagent dans ces pays ou seraient susceptibles de s'y rendre du fait des origines de leurs parents, alors que l'hépatite A est une infection qui passe inaperçue ou relativement bénigne à cet âge de la vie ?
Merci de votre avis et de votre expérience
Michel BENARD
Michel Benard me reproche, à juste titre, de n'avoir pas été assez clair et pose la question "Faudrait-il donc vacciner systématiquement tous les enfants qui voyagent dans ces pays ou seraient susceptibles de s'y rendre du fait des origines de leurs parents, alors que l'hépatite A est une infection qui passe inaperçue ou est relativement bénigne à cet âge de la vie ?"
RépondreSupprimerJ'aimerais faire deux réponses,une réponse de médecin et une réponse de citoyen. En tant que médecin, je considère l'hépatite A comme bénigne et souvent même inapparente et je ne vois aucune raison de vacciner un enfant. S'il attrape une hépatite, ce sera un événement tout à fait mineur en ce qui le concerne. Par ailleurs, il pourra être source d'infections dans son entourage mais ce risque est très limité si on se lave les mains et si on a des pratiques d'hygiène normale.
En tant que citoyen, je considère qu'idéalement ce n'est pas à chaque médecin isolé de se faire sa propre opinion.Il me semble que le Ministère de la Santé devrait pour cette vaccination, comme pour les autres, demander l'avis d'experts compétents et indépendants des laboratoires. Il devrait leur demander d'écrire ce qu'ils savent, d'écrire ce qu'ils pensent, d'écrire ce qu'ils proposent et il faudrait que ces écrits soient publiés et lus. Qu'ils soient l'occasion de poser des questions, de demander des précisions. En d'autres termes, la réflexion doit être aussi large que possible et aussi transparente que possible.
Je regrette beaucoup, en tant que citoyen, que le Ministère de la Santé n'ait pas su ou voulu organiser ce type de travail.
Car je suis tout à fait conscient qu'un médecin isolément ne peut pas tout savoir : quel est le risque d'hépatite A en cas de séjour de 3 semaines en juillet à Zarzis ou celui à Agadir en avril? Ce serait aux pouvoirs publics de diriger une réflexion collective.
Je n'ai donné ma propre réponse que parce que je constate et je déplore que les pouvoirs publics ne font pas beaucoup d'efforts pour être sérieux et compétents
Jean-Pierre LELLOUCHE