Un homme est malade. Il est opéré par un chirurgien A. Les troubles persistant, il va voir un second chirurgien B qui lui dit que A a fait une erreur: "Il n’aurait pas dû faire telle chose, il aurait dû faire telle autre".
Cette histoire m’est racontée alors que je viens de lire un article intitulé :" Talking with patients about other clinicians'errors. "[1] Si l’on accepte ce que dit cet article, le chirurgien B n’a pas eu une attitude convenable
Je crois, moi aussi, que cette attitude est incorrecte, mais je voudrais montrer que l’attitude correcte préconisée par l’article et qui, de fait est une attitude idéale, est à peu près impossible à mettre en œuvre dans la pratique. L’attitude de B qui est incorrecte est la règle et dans la pratique, elle est infiniment plus facile à adopter.
De quoi s’agit-il? L’article dit que quand un second médecin pense que le premier médecin a fait une erreur, il doit le lui dire. Il doit lui dire ce qu’il a constaté et ce qu’il pense et il doit lui demander de dire lui même comment il voit les choses.
Arrêtons nous à ce stade. Si le chirurgien A travaille en hôpital il y a 3 chances sur quatre qu’il soit très difficile à joindre mais si le chirurgien B insiste, il arrivera à le joindre. Il devra lui dire en substance: « J'ai vu votre malade, vous ne l’avez pas guéri et de plus, je pense que votre intervention n’était pas ce qu’il fallait faire. J’aimerais que nous nous voyions pour en parler et pour préciser les choses ».
Le chirurgien A a toute chance de n’être pas très enthousiaste, mais il sait qu’il ne peut pas refuser de s’expliquer. L’article dit que A et B doivent parler pour aboutir à un constat qu’ils pourront ensuite faire connaître au malade.
Dans la pratique, lorsque B dit que A a fait une erreur ou une faute, il y trouve un double avantage. D’une part, il ne perd pas de temps et il ne vit pas une situation désagréable et d’autre part, il se présente comme le bon chirurgien qui va prendre la suite du mauvais chirurgien.
Si les deux chirurgiens s’étaient rencontrés, s’ils avaient discuté, il est peu probable qu’ils auraient abouti au constat que A a été nul et que B sera excellent... Or pour le malade, l’idée que sa non-guérison est liée à la médiocrité de A est une idée beaucoup plus attrayante que celle qui consisterait à se dire qu’il n’est pas guéri parce que son cas est complexe et difficile.
Dans le système de non-communication entre les deux chirurgiens, B fait porter la responsabilité sur A et se présente comme quelqu’un de différent de A, n’ayant rien à voir avec ce nul de A. Il promet la guérison et le malade y croit parce qu’il veut y croire.
Si les deux chirurgiens avaient discutés, ils auraient abouti au constat que A n’est pas tout à fait nul et que B n’est pas de façon certaine un sauveur.
Après l’échec de A, le considérer comme responsable permet à B de se présenter comme un sauveur et permet au malade de croire qu’il est enfin en de bonnes mains très différentes de celles de A.
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"Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire" |
Ce système de non-explication qui convient à B et au malade, n’est pas non plus déplaisant pour A. En effet, dans une rencontre avec B, il aurait dû s’expliquer, il aurait dû reconnaître qu’il n’est pas merveilleusement irréprochable (parce que personne n’est merveilleusement irréprochable et que toute personne a des limites). Ne pas pouvoir s’expliquer est un peu désagréable, mais A saura qu’il a été condamné sans être entendu. Il se percevra comme victime d’une injustice. Il pensera que B est un sale type et un mauvais confrère qui profite de la crédulité du malade pour se présenter comme un sauveur.
Le système de non-communication prévaudra longtemps, non pas bien qu’il soit bête mais parce qu’il est bête
Jean-Pierre LELLOUCHE
[1] T.H. Gallagher, M.M. Mello, D.W. Levinson, M.K. Wynia, A.K. Sachdeva, L.S. Sulmasy, R.D.Truog, J. Conway, K. Mazor, A Lembitz, S.K. Bell, L. Sokol-Hessner, J. Shapiro, A.-L. Puopolo, R. Arnold. Talking with patients about other clinicians'errors. N. Engl. J. Med. 2013; 369:1752-1757
Ce texte est une caricature. Il a les qualités d’une caricature, mais il en a aussi les défauts.La qualité d’une caricature est de simplifier, d’appuyer sur les traits pour bien insister sur l’essentiel.
RépondreSupprimerLellouche veut nous dire que les conflits d’intérêts c’est détestable et inadmissible et il a raison. Il dit aussi que si l'on veut lutter contre, il faut le faire de façon claire et explicite et donc en langue française. Et là encore, il a raison.
Mais à mon sens, il simplifie trop. Il décrit le médecin malhonnête qui triche et qui dit des mensonges contre de l’argent. Cela existe et cela mérite d’être dénoncé. Mais cette forme que je qualifierai de «forme clinique pure» est loin d’être la seule. Il y a des médecins qui sont un peu incompétents, un peu ignorants, un peu irresponsables. Ces médecins ne savent pas bien ce qu’est une étude randomisée en double aveugle. Ils ne savent pas bien ce qu’est un biais. Le tricheur, le menteur dont parle Lellouche est quelqu'un qui connaît la vérité et qui dit un mensonge par intérêt, par cupidité.
D’autre part, tout ce qui se publie n’est pas de l’ordre de la vie et de la mort. Si un médecin dit que le produit A diminue la sensation de jambes lourdes ou que le produit B rend plus attentif (ou moins inattentif) lors des cours de maths, il n’a pas le sentiment que cela soit très important. Il ne sait pas que sa petite contribution aux petits mensonges permet de construire un iceberg de bêtises et de malhonnêtetés dont la partie émergée est le Médiator.
Il faudrait examiner des exemples concrets de situations de conflits d'intérêts et essayer de comprendre dans chaque cas quels sont les mécanismes en jeu. Je ne suis pas sûr que ceux qui accompagnent les labos dans leur entreprise de conquête de nouveaux marchés dans les troubles de l'humeur, la tristesse, les troubles de l'attention à l' école... soient tout à fait comparables à ceux qui les accompagnent dans des projets plus durs, dans des projets de conquête de marché, dans des domaines où la mortalité n'est pas négligeable.