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Ginette RIMBAULT (1924-2014) |
"Ginette... Ah, ah, ah, ah ! Joli nom Ginette..."
(COLUCHE, "Le flic" 1975)
Un bon mot: rien de tel pour tenter d’évacuer la nostalgie du temps qui passe et combler le manque de ceux qui s’en sont allés après nous avoir touchés de leurs paroles ou de leurs écrits ! Ginette RAIMBAULT nous a quittés le 19 février 2014. L’hommage de Caroline ELIACHEFF sur France-Culture [1] m’a donné envie de réfléchir à ce qui me plaît dans sa pensée, à ce que ses écrits m’apportent encore aujourd’hui.
Mais pourquoi diable rapprocher Ginette RAIMBAULT la discrète et austère psychanalyste d’enfants et Michel COLLUCCI le clown gouailleur en salopette bleue et blanche ? Tous deux avaient des origines modestes. La mort brutale du second fut vécue, à l’époque, comme une catastrophe nationale alors que le décès récent de la première paraît un micro-événement anecdotique, "dans l’ordre des choses" comme le départ d’une génération, le déclin amorcé et inéluctable (?) de la psychanalyse.
C’est probablement surtout parce que tous deux avaient un intérêt pour la parole de l’autre. Ils s’appliquaient à la (re)donner à ceux qui ne l’ont pas encore (enfants) ou alors plus du tout (précaires et SDF). Pour pouvoir parler, il faut la dignité d’un corps reposé et d’un estomac rempli, d’où les "Restos du cœur". Pour être entendu, il faut être pris au sérieux par une oreille attentive, susceptible de transmettre et d’expliciter cette parole, d’où les livres de Ginette RAIMBAULT et l’unité de recherche 158 de l’INSERM.
"On s'autorise a penser dans les milieux autorisés..." disait l’humoriste. Je rajouterai volontiers que le discours médical ne s’en prive pas, remplissant de sa sauce sémio-technologique objectivante les vides de l’histoire du sujet. "L’analyste est là, rappelait la psy, pour laisser le patient dire tout et qu’il entende ce qu’il dit" [2].
Je n’ai pas personnellement connu Ginette RAIMBAULT. Tout au plus une question naïve dans une de ses conférences, un échange épistolaire fécond dans une revue autour d’une observation qui me mettait mal à l’aise [3]. D’ailleurs Caroline ELLIACHEF, qui l’a côtoyée de près pendant quarante ans, confie qu’elle était mystérieuse et ne se laissait pas approcher facilement [1]. Certains, la trouvant énigmatique, l’avaient d’ailleurs surnommée "le sphinx".
J’ai beaucoup de tendresse pour sa pensée. Une pensée claire et rigoureuse, à vocation scientifique c’est à dire à la fois expérimentale et clinique, innovante mais partageable et qui déborde largement le cadre de ses lieux d’expérimentation, à savoir l’hôpital. Ancien médecin, elle connaît le langage médical et peut alternativement s’identifier au soignant et au soigné.
Il est difficile de catégoriser l’apport de cette pensée si riche à la pratique quotidienne d’un pédiatre de ville, mais je proposerai volontiers quatre idées forces.
1-Reconnaitre la parole du sujet :
Laisser à l’enfant dire pourquoi il vient, même s’il préfère très souvent laisser parler d’abord sa mère ce qui, au demeurant, peut en dire long sur sa dépendance. Mémoriser absolument ses premières paroles (et si possible retenir en soi les siennes). Lui proposer ensuite de dessiner tout en se gardant bien d’interpréter paroles ou dessins. Lui garantir la confidentialité de ses paroles et le secret de ses dessins si secondairement je le reçois seul.
Parler au bébé comme au jeune enfant nous est tout naturel. "Le bébé est une personne ", ce slogan révolutionnaire des années 80 est devenu évidence pour tous. Il me semble toutefois que l’on méconnait aujourd’hui l’apport de toute une génération maintenant fort décriée: Jenny AUBRY, Françoise DOLTO puis Ginette RAIMBAULT. Trois femmes, trois pionnières !
2-Ne pas idéaliser la fonction maternelle :
En pratique de ville, le pédiatre est présenté partout et considéré par tous comme un allié naturel de la mère. D’ailleurs, certaines mères se l’annexent d’emblée ("mon pédiatre"), le mettent en situation quasi-exclusive de garagiste, vérificateur du bon fonctionnement de l’enfant (j’appelle ça : « faire les niveaux »), de bureaucrate cochant les bonnes cases, le carnet de santé ("d’entretien") étant présenté ostensiblement ouvert à la bonne page et quelquefois pré-rempli. Tout cela avait autrefois le don de m’exaspérer avant que je ne comprenne dans quelle position logique le discours médico-social et la demande maternelle m’avaient placé.
Cela, Ginette RAIMBAULT le décrit fort bien [4] et affirme même que le pédiatre n’est là que pour réparer l’enfant et le rendre en bon état de marche à sa mère. Réparateur de l’enfant, mais aussi de la mère ou de la relation mère-enfant ? Souvent en y introduisant du tiers et au premier rang de ces tiers évidemment, le père de l’enfant ou celui qui vit avec la mère ?
Je dois dire que l’âge venu permet au pédiatre, non de figurer " à l’insu de son plein gré" dans cette triade à la place du père, mais bien en arrière-plan comme un personnage secondaire (un écuyer ou une duègne pourquoi pas ) dont la présence peut parfois apporter quelque chose au scénario qui se déroule, à l’action qui est en train de se jouer pendant la consultation ("ici et maintenant" comme disent les psy)
Il est des cas pourtant où les actes posés dans le réel sont irréparables (violences graves, nanisme psychogène, Münchhausen par procuration, paranoïa parentale). Le pédiatre doit pouvoir s’en convaincre (ce qui n’est pas rien car ses défenses sont consubstantielles à sa vocation). Puis en prendre acte sans se dévaluer ni se retirer du jeu en assumant de sauver qui peut l’être, c’est à dire son petit patient. Cela implique le plus souvent de le «perdre» après le signalement de la situation hautement pathologique aux autorités compétentes.
3- Travailler dans la durée :
La patience s’acquiert avec l’âge. Arriver à accepter la finitude de notre vie bornée entre naissance et mort est un processus pourtant jamais terminé. Je dois à Ginette RAIMBAULT de m’avoir fait comprendre et admettre que tout un chacun (patient ou médecin) est travaillé, du début à la fin de sa vie, par une partition qu’il ne connaitra jamais vraiment et qui a été écrite avant sa naissance par ses ascendants. «Il y a en nous un texte qui fait loi bien que nous ne le connaissions pas» [2].
Il ne s’agit en aucun cas de rendre obligatoire le dessin des arbres généalogiques dans toutes les observations pédiatriques ni de "récupérer du transgénérationnel" pour l’inclure dans une quelconque check-list médicale, mais d’être attentif à sa possible « Assomption » dans le discours de l’enfant ou de ses parents. Cette émergence peut être grandement facilitée par l’espace de la consultation: double espace spatial et temporel à préserver.
J’en tire plusieurs enseignements :
a) Ne pas être trop pressé comme le voudrait l’époque actuelle et savoir renoncer à sa toute puissance ou plutôt supporter l’impuissance d’un savoir médical devant la souffrance et le mal de vivre du sujet.
b) Savoir couper court aux confidences maternelles hémorragiques et ne pas hésiter à fixer un nouveau rendez-vous sous peine d’être très en retard dans sa consultation et de ne plus revoir le patient.
c) Avoir des lieux d’échange, de régulation qui assument tout autant une fonction d’émonctoire que d’élaboration clinique.
Je suis reconnaissant à Ginette RAIMBAULT d’avoir directement prolongé les travaux de Michaël et Enyd BALINT. Je ne me rappelais plus que proche de la fin de sa vie, Michaël BALINT avait participé au groupe de pédiatres dont Ginette RAIMBAULT était la leader et dont le récit des travaux est publié dans «Médecins d’Enfants» [4]. Je me suis toujours demandé si Aldo NAOURI y était le Dr Amsterdam ou le Dr Bruges. Ginette RAIMBAULT y reprend, en le dépassant, la découverte de BALINT: dans une famille, le patient clef n’est pas souvent le patient présentant les symptômes ni d’ailleurs le patient traitable.
4-Assumer au mieux une fonction symboligène, sans le savoir ou tout en le sachant ?
Devant l’appel du réel représenté par la souffrance de l’enfant ou de la dyade mère-enfant, le recours du médecin à l’imaginaire, c’est-à-dire à la compassion et à l’humanisation [5] se révèle illusoire et psychiquement très couteux. Les pédiatres savent bien comme on sort épuisé de certaines consultations et que ce n’est pas toujours bon pour la suite d’avoir à ce point endossé la souffrance de ses patients. Ginette RAIMBAULT, bien mieux que d’autres, nous explique le symbolique, c’est à dire ce tiers souvent défaillant qui fait tenir ensemble les trois catégories Lacaniennes : réel, imaginaire et symbolique.
Notre époque est inquiétante par l’inflation de l’imaginaire qui devient une impasse "psychotisante" (les médias, les jeux vidéo qui déroulent un présent sans fin et sans historicité). Le réel, étant par essence constant, c’est le symbolique, c’est-à-dire le langage et la culture qui ont un passé (avant nous) et on l’espère encore un avenir (après nous), qui se retrouve en un grand danger d’amoindrissement voire d’extinction.
Qu’y peut le pédiatre ? Disposer, de façon nostalgique et militante, des jeux en bois et des livres dans son cabinet et sa salle d’attente ? Et tenter quelquefois d’être en place de ce tiers défaillant ? Faut-il pour autant "programmer de la symbolisation" ? Je plaiderais plutôt pour accepter d’être un « Monsieur Jourdain de la symbolisation » si d’aventure l’occasion s’en présentait…
Pour conclure,
Il nous appartient de témoigner le plus souvent possible de ce qui fait le plaisir, la richesse, l’efficacité et la spécificité de notre pratique pédiatrique. L’apport de nombreux psychanalystes d’enfants y a grandement contribué. Ginette RAIMBAULT figure au premier rang de ceux-là.
Comme mes ressentis ne sont pas quantifiables, ils ne seront pas pris en compte par le tamis impitoyablement réducteur de l’évaluation des pratiques médicales. Personne ne nous a demandé de témoigner et surtout pas nos autorités de la Santé qui sont préoccupées au premier chef de questions économiques. Je pense que leur projet (non dit) est d’attendre tranquillement la disparition, c’est à dire le départ à la retraite, d’une génération de pédiatres. Ceux qui, avec délices, ont goûté le bon lait de la psychanalyse et pour beaucoup en ont fait très bon usage, qu’ils aient ou non gardé leur exercice initial ou bien évolué vers la psychothérapie d’enfants. Il paraît donc urgent de transmettre à nos jeunes collègues le goût pour d’autres points de vue que le discours médical scientifiquement pur et dur de l'hospitalo-centrisme. Je souhaiterais par ce petit texte leur donner envie de lire « Clinique du réel » et « Médecins d’enfants ».
C’est aussi répéter une fois de plus (dans le désert ?) que l’enseignement des internes en pédiatrie passe bien évidemment par un stage chez le praticien.
Alain QUESNEY
[1] Caroline ELIACHEFF « Parlons du deuil » Les idées claires de Caroline ELIACHEFF. France culture 26.02.2014
[2] Ginette RAIMBAULT : Clinique du réel - Le Seuil, 1982
[3] Médecine et Enfance, Mai 1998 : p. 245-247
[4] Ginette RAIMBAULT : Médecins d’enfants (onze pédiatres, une psychanalyste) - Le Seuil, 1973
[5] Ginette RAIMBAULT et Radmila ZYGOURIS : L’enfant et sa maladie - Privat, 1990
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