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13 mai 2014

QUE PENSER DU TOURISME MEDICAL ?


Que  penser du tourisme médical? Wikipedia nous dit que " Le but du tourisme médical est pour les malades de se faire soigner à moindre coût dans un pays autre que celui dans lequel ils résident, ou de faire soigner à l'étranger ce qui ne pourrait être traité chez eux."



Intuitivement, je n’aime pas trop l’idée de tourisme médical. Il me semble qu’idéalement chaque pays devrait faire un effort pour que sa  population soit bien traitée et qu’elle n’ait pas besoin d’aller chercher ailleurs des soins. En exagérant un peu, je dirais même qu’il y a dans l’idée de tourisme médical quelque chose qui m’évoque le tourisme sexuel. Des gens dans un pays ont des besoins et vont les satisfaire dans un autre pays. Bref, je n’aime pas beaucoup cette idée.


J’ai été surpris lorsque lisant un livre très intéressant rédigé par des gens très compétents "Tunisie l’espoir: mode d’emploi pour une reprise"[1], j’ai lu ce passage sur le tourisme en général et sur le tourisme médical en particulier, sous ce chapitre "Développer de nouvelles filières":

"Le tourisme d'affaires, le tourisme de congrès, le tourisme de croisière font notamment partie des segments à investir. Il en est de même pour le tourisme résidentiel, qui rencontre un succès important au Maroc, où de plus en plus de retraités européens s'installent en saison hivernale. L'accroissement du coût de la vie en Europe, combiné au vieillissement de la population, offre dans ce domaine des opportunités inédites pour les pays de la rive sud de la Méditerranée. 

Elyès JOUINI
Aussi, la Tunisie dispose d'avantages concurrentiels notables dans le secteur du tourisme médical : les services médicaux offerts attirent les Libyens qui, compte tenu des lacunes de leur système de santé, sont contraints de se faire soigner à l'étranger. C'est également un facteur d'attractivité pour les Européens (soins dentaires et chirurgie-esthétique...) et particulièrement profitable pour le pays : le tourisme médical, qui se pratique généralement en basse saison, donne  la plupart du temps l'occasion à ces patients de joindre l'utile à l'agréable."


Je crois que cette  idée que le tourisme médical en Tunisie pourrait jouer un rôle positif pour l’économie du pays mérite qu’on y réfléchisse. Les Tunisiens ont raison de chercher des pistes pour améliorer leur situation, mais doivent-ils le faire sans se soucier de ce que cela  représente pour eux-mêmes et pour les pays pourvoyeurs de « touristes médicaux » ?

Je pense que le tourisme médical représente une mauvaise solution pour les habitants des pays pourvoyeurs de tourisme  médical et qu’il est aussi dans le pays où vont ces touristes la mise en pratique d’une médecine détestable, ayant des effets négatifs sur l’ensemble du système de santé.

Je n’insisterai pas sur le premier point. Le tourisme médical est une solution individuelle, au cas par cas. Des Libyens ou des Français vont en Tunisie pour avoir des soins qu’ils ne peuvent pas avoir dans leur pays. Il va de soi que les solutions doivent être recherchées collectivement et politiquement dans chaque pays.

Mais, c’est l’effet négatif sur le système de santé tunisien que je voudrais souligner. 

La  médecine a longtemps été exercée sur un mode  paternaliste (c’est le  médecin qui sait et le malade doit se soumettre sans trop chercher à comprendre ). Cette médecine s’exerçait sur un mode rapide (5 minutes par clients) selon une logique faite pour maximiser les profits. Dans cette médecine, on va à l’essentiel, la maladie ou même l’organe malade, et on ne se soucie pas trop de la personne malade, de son environnement, de son cadre de vie, de ses idées, de son psychisme.


Cela donne lieu, dans les établissements de soins, à un vocabulaire étrange où le malade était désigné par sa maladie: « la hanche est à jeun » signifiant que la personne devant être opérée de la hanche est à jeun; "l’appendicite du 21" désignant le malade ayant une appendicite et occupant le lit 21.


Médecine paternaliste, avec peu d’informations du malade, manque d’intérêt pour l’environnement et le psychisme, discours médical ignorant la personne forment un ensemble cohérent.

Le malade est un porteur de maladie, un problème technique auquel un technicien prodigue des soins.

Dans la médecine telle que beaucoup la souhaitent, le malade n’est pas un objet, le médecin n’est pas un technicien sans vie émotionnelle et relationnelle. Le médecin s’intéresse aussi à la vie du malade, à ses pensées, à ses espoirs. Il connaît un peu ce qu’est la vie du malade parce qu’il participe lui-aussi du même environnement des mêmes réseaux. Il vit dans le même bain culturel, il vit dans le même environnement  médiatico-politique.

Le malade de Port-en-Bessin, soigné à Port en Bessin par un médecin de Port en Bessin, n’est pas un étranger pour ce médecin et ce médecin ne lui est pas non plus étranger. 


Lorsque le malade de Port en Bessin est soigné à Tunis, il y est par choix utilitaire, il n’y est pas "naturellement" et le médecin et la clinique qui le prennent en charge n’agissent pas parce qu’il est naturel que des médecins et une clinique soignent les malades qui sont de leur ressort, ils le soignent par choix économique.


La médecine effectuée sur des touristes médicaux, a tendance à être une médecine de l’organe malade, une médecine effectuée par des techniciens sans relation suivie avec le malade. Elle tend à être même une médecine de techniciens pressés de gagner beaucoup d’argent en ayant peu d’intérêt pour la personne. Or, la médecine humaniste, respectueuse de la personne, est un projet, un idéal à atteindre. Si arrivent en Tunisie des cohortes de malades qui viennent parce qu’ils ont de l'argent et qui sont pris en charge parce qu’ils ont de l’argent. Cela favorise le mode classique de médecine (paternaliste, rapide centrée sur le profit) et cela retarde l’avènement d’une médecine respectueuse des gens, y compris de ceux, et ils sont nombreux, qui n’ont pas beaucoup d’argent.


Jean-Pierre LELLOUCHE



[1]  "Tunisie l’espoir: mode d’emploi pour une  reprise" sous la direction de Elyès Jouini, préface de Abdeljabbar Bsais. Cérès éditions - 2014


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