Résumé : Commentaire sur le film documentaire de Sylvie ROBERT «Le Mur ou La psychanalyste à l’épreuve de l’autisme», disponible en ligne sur le site de l’association de parents «Autistes sans frontières». Dans les années 60, le discours sur l'autisme était à peu près totalement monopolisé par les psychanalystes avec des excès insupportables ("mais Madame, vous êtes la mère"). Devrait-on accepter aujourd'hui de se passer totalement de l'apport de la psychanalyse et de l'expérience des psychanalystes? On lira avec intérêt en complément le témoignage rectificatif (1) de quatre personnes interviewées dans ce reportage (Laurent Danon-Boileau, Pierre Delion, Bernard Golse et Christine Loisel-Buet).
De ma position de Pédiatre ambulatoire qui s'inquiète devant certains symptômes de ses petits patients, qui oriente pour bilans et diagnostics, qui suit l’enfant et soutient les familles, il me semblait pourtant, qu'en 2011, des évidences s'imposaient et que s'était enfin (!) dégagé un consensus sur l'autisme que l'on pourrait résumer en trois points:
1- Il n'y a pas un seul type d'autisme mais toute une gamme de pathologies.
Reprenons ces points un par un.
1 - Il n'y a pas deux histoires identiques :
Il y a tout « un spectre autistique » comme il est dit dans le film par le Dr. ZILBOVICIOUS, psychiatre directrice d'unité à l'INSERM. Le Dr. DELION, pédopsychiatre, ne dit pas autre chose quand il évoque un continuum de pathologies qui vont de la presque normale à l'autisme sévère.
2- Les bilans actuels,
EEG, IRM cérébrale, tests génétiques, bilans sensoriels sont rarement contributifs d'une cause reconnue en dehors des cas déjà orientés par l'examen clinique. Si ces nourrissons sont pris en charge tôt, ils n'évoluent pas tous, tant s'en faut (!), vers les cercles vicieux des troubles envahissants du développement (TED).
3- Le traitement n'est pas univoque:
Comme le proclame le film, il faudrait s'appuyer uniquement sur les techniques d'apprentissages et refuser les psychothérapies. De mon point de vue, le traitement peut combiner, selon l'âge, l'évolution et la disponibilité locale, psychomotricité, orthophonie, thérapies d'échange et de développement mais aussi, soutien et guidance de la famille (dans la difficile recherche d'une cause médicale qui est bientôt suivie du casse-tête de l' intégration scolaire) mais aussi pourquoi pas pour certains patients d'une psychothérapie d'inspiration analytique.
4. Malgré tout, la controverse est lancée
Cela dit "pourquoi déterrer la hache d'une guerre"que l'on croyait révolue? Pourquoi mettre la psychanalyse à l'épreuve de l'autisme? Dans un renversement saisissant, la psychanalyse est passée du statut de science humaine à celui de religion révélée, interrogée, mise en accusation par une neuroscience triomphante, annexée par des parents en souffrance. Juste retour des choses pourront dire certains : les enfants autistes et leurs parents ont subi ne épreuve trop douloureuse de la part de certains psychanalystes. Il reste coincé quelque part le «mais madame, vous êtes la mère», pour ne pas entraîner en retour de balancier, le «mais docteur, vous êtes psychanalyste». Il est vrai qu’aucun président d’association psychanalytique n’a fait d’excuses publiques, ni dit clairement devant des caméras de télévision qu’une page d’histoire de la pédopsychiatrie était définitivement tournée…
- Pourquoi les présenter sur le même plan que des praticiens (Dr DELION, Dr GOLSE, Dr NAOURI, Dr WILDLOCHER) reconnus, compétents et ouverts à différentes autres approches diagnostiques et thérapeutiques? Comment ces derniers ont-ils pu se faire piéger? Plaisir de se faire filmer ou désir d’enseignement qui a été subverti?
La folie maternelle à la naissance, autrement dit la "préoccupation maternelle primaire", la "censure de l'amante", les différents incestes sont des théories psychodynamiques intéressantes mais totalement hors sujet pour ce qui est de l'autisme. Elles deviennent dans le film des concepts totalisants et totalitaires, comme au temps révolu de LACAN et de la "Forteresse vide" de BETTELHEIM (2). Cet amalgame est simplificateur comme le propos du film. Depuis le livre «Esprit où es-tu ?» de Jacques HOCHMANN et Marc JEANNEROD (3), il y a eu d'autres exemples de rencontres fécondes entre neurophysiologistes et psychanalystes. Pourquoi ne pas travailler sur ces ponts? Le Dr GOLSE et le Dr ZILBOVICIOUS collaborent bien ensemble dans le même hôpital (Necker-Enfants-Malades)
On peut s'interroger sur le bénéfice d'une telle entreprise si ce n'est d’accroire le clivage et la culpabilité (si présents dans cette pathologie) et en conséquence les difficultés de la prise en charge de ces patients, déjà évidentes en ces temps de pénurie.
Ce film me paraît éminemment discutable (au double sens du terme) à la fois sur le fond et sur la forme. Contribue-t-il à démolir des pans de ce mur? Je ne trouve pas : il proclame de façon trop simplificatrice, car militante, que la réalité n'est pas complexe et donc que les choix sont clairs et univoques. Ceci dit, toute œuvre, même médiocre, doit pouvoir paraître. Prétendre l'interdire comme certains "psy" interviewés le souhaiteraient est antidémocratique, en accroît la publicité et donc la diffusion.
(1) Le mur : témoignages rectificatifs de quatre participants. Site PSYNEM
(2) Bruno BETTELHEIM "La forteresse vide" (NRF Gallimard éd., Paris, 1967)
(3)Jacques HOCHMANN, Marc JEANNEROD,"Esprit où es-tu ? : Psychanalyse et neurosciences" (Paris : Odile Jacob, 1991)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire