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15 octobre 2012

LE LAIT MATERNEL, VACCIN UNIVERSEL


Je connais un vaccin formidable. Il protège à la fois des infections digestives, des otites et de nombreuses infections respiratoires. Il prévient même certaines allergies. Il s’administre par voie orale avec une excellente acceptabilité. Son coût de production est tellement minime qu’il est distribué gratuitement aux bébés qui le réclament. Il n’a aucune effet secondaire et ses contre-indications sont exceptionnelles. Seul inconvénient, il doit être débuté très tôt, dès la maternité, avec des rappels réguliers et une augmentation progressive des doses. Si ce vaccin était généralisé et utilisé durant au moins six mois, il n’y aurait plus d’épidémie de gastro-entérite et les services de pédiatrie seraient moins envahis par les bronchiolites hivernales. 




Malheureusement, nos responsables successifs du Ministère de la Santé n’ont pas vraiment compris l’importance de ce problème, à moins qu’ils estiment vraiment secondaire la promotion de cette protection naturelle et efficace qui existe depuis des millénaires.

Ce "vaccin universel", vous l'aurez compris, c'est le lait maternel qui grâce à ses pouvoirs nutritionnels et immunitaires a un rôle préventif essentiel chez tout enfant qui aura la chance d'en bénéficier durant les premiers mois de vie, voire plus si affinités.

Bien sûr, dès que l'on capture le substantif vaccin, les zélateurs des vaccinations s'étranglent et crient à l'usurpateur, se réservant seuls le droit d'utiliser ce terme trop sérieux pour être ainsi galvaudé. Même si le terme de vaccin utilisée ici l'est à titre un peu provocateur et non scientifique, c'est pour attirer l'attention sur les bienfaits d'une mesure de santé publique que notre pays tarde à vraiment encourager comme il le faudrait.  

Personne ne conteste que les nourrissons allaités au sein puissent être eux aussi malades malgré ce doux vaccin oral qu'ils absorbent plusieurs fois par jour. Mais il est parfaitement bien établi que l’allaitement artificiel est grevé d’un coût lié aux dépenses de santé supplémentaires induites par les pathologies résultant d'une absence d'allaitement maternel. Les données de la littérature médicale illustrent toutes les bénéfices multiples de l’allaitement maternel : 

- dans les pays industrialisés, le taux de gastro-entérites à Rotavirus est cinq fois moins important chez l’enfant au sein (1) 
- l’entérocolite ulcéro-nécrosante est vingt fois moins fréquente chez le prématuré au sein (2) 
- en Afrique, le nombre d’enfants infestés par des parasites intestinaux est quatre à six fois moindre dans les deux premières années de vie s'ils sont allaités (3)   
- le risque d’infection bronchique à virus respiratoire syncytial (VRS) paraît moins élevé et de moindre gravité (4) (5) (6) 
- la fréquence des otites est deux fois moindre aux Etats-Unis chez les enfants allaités exclusivement au sein durant au moins quatre mois (7) et trois fois moindre dans les pays nordiques (8).

Les mécanismes de la protection conférée par le lait maternel sont complexes. Il ne s’agit pas seulement d’une ingestion passive d'immunoglobulines, "d'une purée d’IgA", comme l'exprimait de façon imagée le regretté Pr. Lestradet. Mais aussi de facteurs anti-infectieux divers : lactoferrine, lysozyme, lipase, cellules immunocompétentes (macrophages, lymphocytes, polynucléaires). Cette protection a de plus un caractère dynamique et évolutif: la concentration en IgA, très forte dans le colostrum (2000 mg/100 ml), diminue rapidement de façon inversement proportionnelle à la synthèse locale intestinale d’IgA sécrétoires. Surtout, la spécificité des anticorps présents reste parfaitement adaptée à la flore maternelle que partage l’enfant. 

En dehors de ses vertus anti-infectieuses, l’allaitement maternel prolongé est également associé à une diminution du risque d’eczéma pendant les 2 à 3 premières années de la vie chez les enfants à risque d’allergie, et à une diminution du risque d’obésité et de surpoids, de diabète de type 1 et 2, de maladie cœliaque, de maladies inflammatoires du tube digestif. La fréquence de la mort inattendue du nourrisson est également moindre dans cette population. 

A une période où les urgences pédiatriques sont encombrées régulièrement lors de chaque épidémie Hivernale de bronchiolites et de gastro-entérites, à une période également où certains germes (pneumocoques) font de la résistance, au lieu de chercher de nouveaux antibiotiques et de nouveaux vaccins, si l’on pensait plutôt à recourir à des méthodes de prévention primaire qui ont fait leurs preuves. Si l’on pensait aussi à accorder aux femmes une année de congé postnatal pour leur permettre de choisir l’allaitement au sein en toute sérénité, sans qu’elles soient stressées par l’idée de la date butoir des deux mois de la reprise de travail, tout le monde y serait gagnant.

Etude "EPIFANE" (2012) Pourcentage d'allaitement maternel 0-12 mois (9)

La majorité des Françaises choisissent actuellement d’allaiter en maternité (9). Plus des deux-tiers des nourrissons (69%) reçoivent du lait maternel à la maternité (60% de façon exclusive, 9% en association avec des formules lactées). Dès l’âge d'un mois, ils ne sont plus que la moitié (54%) à être allaités, et seulement 35% de façon exclusive. A six mois, à peine 15 % d’entre eux bénéficient toujours du lait de leur mère. La France est, avec l’Irlande, le pays d’Europe ou le taux d’allaitement maternel est le plus faible. Le taux d’initiation de l’allaitement en maternité varie en Europe de moins de 40% (Irlande) à plus de 95% (pays scandinaves). Quatorze pays (dont l’Allemagne, l’Italie, le Portugal et la Suisse) ont un taux supérieur à 90% et cinq pays (dont l’Espagne, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne) un taux de 70 à 90%.


La priorité actuelle serait donc de parvenir à faire passer dans les mentalités que l’allaitement maternel est la norme et que tout nouveau-né devrait pouvoir en bénéficier durant ses premiers mois de vie. Pour cela,  il faut aussi vouloir s'en donner les moyens. Il est donc surtout nécessaire d'améliorer les conditions de travail et de garde d’enfant en les rendant plus compatibles avec la parentalité et, pour celles qui le souhaitent, avec la poursuite de l’allaitement durant au moins les 6 premiers mois de la vie. À titre de comparaison, le taux d'allaitement exclusif à 6 mois est de plus de 80 % dans les pays du nord de l’Europe grâce à des durées de congé post-natal beaucoup plus prolongé pour les deux parents.
  
Ceci est d'ailleurs en adéquation avec toutes les recommandations nationales (HAS, SFP, AFPA) et internationales (OMS, ESPGHAN) de 6 mois d’allaitement exclusif et d’allaitement accompagné d’aliments appropriés jusqu’à l'âge de 2 ans ou plus comme le suggèrent même les immortels de notre Académie de Médecine (10). Ce qui parait loin du compte par rapport aux deux mois de congés post-nataux actuellement existants et qu'un précédent Président de la République voulait même raccourcir ("travailler plus pour gagner plus").

Il ne s'agit pas, bien évidemment, de culpabiliser les mères qui n'allaitent pas parce qu’elles ne le veulent pas ou ne le peuvent pas. Ce choix est tout à fait personnel et respectable. Mais toutes les femmes enceintes devraient pouvoir avoir accès, durant leur grossesse, à une information de qualité assurée par des spécialistes (consultantes en lactation, sages-femmes, Pédiatres) capables de pouvoir expliquer les mécanismes de l'allaitement, ses problèmes, ses contraintes mais aussi bien sûr ses avantages. Le choix des mères en matière d'alimentation se s'effectue en effet pas à la Maternité mais bien en amont de la naissance de l'enfant. Ajouté à cette information primordiale, il serait idéal que tous les lieux de naissance possèdent un environnement matériel et humain apte à favoriser un départ serein et naturel de tout allaitement au sein. C'est loin d’être encore le cas. Pour preuve, les maternités ayant obtenu le label "Initiative Hôpital ami des bébés" (IHAB : label décerné aux hôpitaux qui répondent aux dix critères de bonne pratique de l’allaitement maternel établis par l’OMS et UNICEF) ne sont encore qu'une petite vingtaine en France.

Au total, parmi l’ensemble de facteurs incitant les mères à allaiter, certains semblent d’une importance toute particulière pour l’initiation et la durée de l’allaitement (11). Ce sont la durée du congé de maternité, la reprise du travail, la prématurité, la précarité et l’initiative «Hôpital ami des bébés».


Il existe heureusement en France de nombreuses associations locales ou nationales qui agissent au quotidien pour assurer cette défense de l'allaitement maternel qui n'est pas encore totalement dans l'air du temps dans notre pays. Elles se sont regroupées, en 1999, sous la bannière de la Coordination française pour l’allaitement maternel (CoFAM). Cette association très vivante multiplie les initiatives, les démarches et les interventions afin de favoriser de cette manière la promotion de l'allaitement maternel auprès de nos autorités de tutelle. La CoFAM travaille en lien avec des associations de professionnels de santé et son conseil scientifique compte plusieurs personnalités. La CoFAM se positionne pour un allongement du congé maternité pour porter à 6 mois (26 semaines) le congé maternité post-natal. Elle soutient le projet de l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) de passer le congé paternité à 1 mois ou mieux à 8 semaines pour que le congé paternité ait une durée presque équivalente à la durée obligatoire du congé maternité (c’est-à-dire 6 semaines avant l’accouchement et 10 semaines après la naissance). 

Le mode de financement requis pour un congé maternité prolongé serait contre-balancé par la réduction notable des dépenses de santé que cela impliquerait de façon automatique. En France, le surcoût lié à l’achat du lait artificiel et aux dépenses supplémentaires en soins médicaux et en pharmacie consécutives au non-allaitement est estimé à 500 € pour un nourrisson pendant les 6 premiers mois de vie. Au Royaume-Uni, une analyse d’un programme de soutien à l’allaitement destiné à des populations en difficulté, estimait en 2007 que l’économie en dépenses de santé relative à la réduction de l’incidence de diarrhées aiguës, d’otites et d’infections respiratoires au cours de la première année de vie était de l’ordre de 300 £ par enfant en cas d’allaitement (11)

Beaucoup reste donc à faire pour que l’allaitement maternel se développe notablement en France. Les professionnels de santé doivent en être conscients et y participer activement. La population doit avoir accès aux recommandations internationales en matière de durée idéale d'allaitement de l'enfant. Nous devons ensemble, à partir de ces données reconnues par toutes les instances de santé, exiger de nos élus qu'ils fassent évoluer le code du travail en matière de congé post-natal. Tous les bébés ont droit à une alimentation saine, naturelle, protectrice de façon suffisamment prolongée pour leur assurer un meilleur départ dans leur vie future.  


Dominique LE HOUEZEC

(1) Duffy L.C., Am. J. Dis. Child., 1986, 140 : 1164-8
(2) Lucas A., Lancet, 1990, 336 : 1519-23 
(3) Gendrel D., Arch. fr. pédiatr., 1988, 45 : 339-404
(4) Stefens S., Arch. Dis. Child., 1986, 61 : 263-269 
(5) Howie P.W., Br.Med. J., 1990, 300 (6716) : 11-6
(6) Wright A.L., Br. Med. J.,1989, 299 (6705) : 946-9
(7) Duncan B., Pediatrics, 1993, 91 : 867-72
(8) Saarinen U.M., Acta Paediatrica Scand., 1982, 71 : 567-71
(9) Salanave B. Taux d’allaitement maternel à la maternité et au premier mois de l’enfant. Résultats de l’étude Épifane, France, 2012. BEH N°34. 18 Sept 2012
(10) L’alimentation du nouveau né et du nourrissonBull. Acad. Natle Méd, 2009, Tome 193, No 2, p 431-446 
(11) François Bourdillon (SFSP) Noël Cano (SFNEP) Jacques Delarue (SFN) Dominique Turck (SFP) Propositions pour le PNNS 2011-2015 Société française de Santé Publique sous la direction de la DGS

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