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26 août 2012

LE JUGE ET L'EXPERT MEDICAL




Chaque fois qu'un drame survient dans lequel on soupçonne qu'il y a eu erreur ou insuffisance de la médecine ou du médecin, il faudrait qu'il y ait une enquête et une réflexion collective pour mieux comprendre ce qui s'est passé et en tirer le maximum d'enseignements....





S'il est besoin d'un recours à la justice, le schéma habituel est le suivant: un malade estime avoir été soigné d'une façon imparfaite. Selon lui, le médecin a fait des choses qu'il ne fallait pas faire ou n'a pas fait tout ce qu'il fallait faire. Avec l'aide d'un avocat, il demande à la justice de se prononcer. Pour se défendre, le médecin demande lui aussi le concours d'un avocat. Le juge d'instruction entend les deux parties, lesquelles sont habituellement en désaccord sur les faits et sur l'interprétation qu'il convient d'en faire. Le magistrat a besoin de l'avis d'un expert. Or, l'expertise est souvent très loin de répondre à cette volonté de comprendre et d'en tirer des enseignements. 

Une vision partielle et manichéenne. 
La plupart du temps, les experts semblent davantage animés par la passion que par la rigueur. Dans leur vision manichéenne, ils ne connaissent que des alternatives simples : le vrai et le faux, le bien et le mal, ce qu'il faut et ce qu'il ne faut pas faire. A l'occasion d'un drame, ils ne se demandent pas si ce drame aurait pu survenir dans la pratique d'un autre médecin et à la limite de tous les médecins. Pourtant, la réalité de l'exercice médical n'est pas toujours conforme à leur rêve d'ordre et de maîtrise.

Les conditions concrètes de l'exercice médical.
Lorsqu'un médecin commet une erreur, on est amené à se demander si l'enseignement qu'il a reçu à l'université était bon et si les enseignements post-universitaires sont bons. On découvrirait peut-être qu'ils ne sont pas toujours excellents, qu'ils sont parfois mauvais et en tout cas toujours perfectibles. Mais quelle que soit la qualité des enseignements, un médecin ne peut pas tout savoir ni se rappeler de tout. Chaque médecin devrait pouvoir à tout moment interroger des gens compétents et ces échanges devraient être fréquents et ressentis comme normaux, souhaitables voire indispen­sables. Le médecin, qui, au milieu de la nuit, éprou­ve une difficulté diagnostique devrait avoir la possibilité de discuter avec un collègue compétent de la validité de ce diagnostic. On pourrait imaginer des structures qui, un peu comme les centres anti-poisons, pourraient être consultées à toute heure. D'autant plus qu'on est dans un contexte où l'exercice de la médecine est solitaire et souvent déshumanisé par le poids considérable que prennent les hiérarchies, les structures de pouvoir et la recherche d'argent. Le médecin de nuit prend une garde au cours de laquelle il peut être amené à voir deux malades ou soixante; le médecin, le jour, peut attendre vainement un client ou être débordé. Il n'existe aucune possibilité d'intervenir pour rationaliser (et moraliser) le système. Or, la qualité d'écoute, la disponibilité, le flair clinique, l'intuition, la surveillance évolutive sont très largement influencés par les conditions concrètes d'exercice.

En condamnant violemment un médecin, les experts "protègent" un système qui les a faits rois: chefs de service, enseignants, experts et probablement membres du Rotary ou du Lions Club, je voudrais faire ici une hypothèse sur les conditions psychologiques dans lesquelles travaillent les experts en général. On leur a dit en substance : "Vous êtes d'excellents médecins et nous avons besoin de votre aide pour juger un ("mauvais") médecin". Tout le monde serait content de s'entendre dire cela et prêt à y croire absolument. Pour juger qu'un médecin est mauvais, il faut avoir une idée très précise de ce qu'est la bonne médecine. Si les experts entraient vraiment dans la complexité, s'ils réfléchissaient à ce que sont les études en faculté puis l'EPU (enseignement post-universi­taire) et la littérature médicale ; s'ils réfléchissaient à ce qu'est l'exercice de la médecine en ville et à l'hôpital et aux graves imperfections structurelles existant à différents niveaux, s'ils réfléchissaient sur la solitude du médecin et à la rareté des échanges, ils découvriraient que la médecine est une science bien approximative et contestable et que l'exercice de la médecine conduit tous les praticiens à flirter quotidiennement avec l'erreur. En travaillant, en réfléchissant, ils découvriraient qu'il y a énormément d'imperfections, de travail à faire et de luttes à mener : contre ceux qui sont hostiles à des modifications du système, mais aussi à l'intérieur de chacun de nous contre notre ignorance, notre paresse et notre manque de courage (par exemple le courage de téléphoner à quatre heures du matin à quelqu'un en avouant ses incertitudes, ses limites, et en demandant de l'aide). Il faut sortir la situation d'expertise de l'alternative coupable/non coupable. Quand un expert affirme la faute lourde, il se propulse lui-même sur un piédestal imaginaire d'un royaume de rêve.

La tentation de la simplification. 
Les lignes qui suivent sont volontairement caricaturales. Il ne s'agit pas pour moi de proposer une description nuancée de la réalité mais d'attirer l'attention sur des mécanismes. Si l'expert donne un avis péremptoire et sans nuances, la tâche du magistrat est très simple : ou le médecin est entière­ment fautif et sa faute, massive et inexcusable ; ou à l'inverse, le médecin est absolument génial et irréprochable. L'affaire sera rapidement jugée et la justice, souvent débordée, appréciera ce type d'expertise d'un seul tenant : il a tout faux ou il a tout bon. Par ailleurs, les expertises simplificatrices ont la particularité d'être extrêmement faciles à conduire et à rédiger.

En revanche, l'expert compétent pourra certes, mettre en évidence des erreurs ou des fautes graves, mais il découvrira presque toujours qu'il y a un faisceau de causes, de la complexité et des nuances. Son expertise sera plus difficile à lire et à interpréter. L'expert sûr de lui ne demande pas au magistrat de faire un effort d'attention ou de réflexion. Il lui présente une histoire simple et univoque qui lui permet de trancher rapidement, sans hésitation ni culpabilité.


Et la tentation de l'ignorance. 
Très souvent, le magistrat adopte la posture de celui qui ne sait rigoureusement rien, qui n'a aucune compétence médicale et qui s'en remet entièrement aux experts, qui eux, sont censés savoir. Cette attitu­de pourrait paraître prudente et modeste mais elle est d'abord fausse et dangereuse. Chaque magistrat sait des choses: il ne sait pas tout et il peut même "savoir" des choses absolument fausses. Se présenter ainsi comme totalement ignorant et vierge de tout savoir est donc une simplification dangereuse dans la mesure où elle s'accompagne d'une confiance démesurée dans la parole des experts qui seraient, par opposition à ce "tout ignorant" des "tout sachant".

Je ne m'attarderai pas sur la contre-expertise. L'une des parties peut demander une contre-expertise et, dans certaines conditions, l'obtenir. C'est évidemment une bonne chose mais là enco­re, on reste dans la problématique du magistrat qui ne sait rien et des experts qui sont seuls habilités à avoir un avis technique.

Propositions pour une expertise pertinente. 
Le magistrat qui reçoit le rapport d'expertise devrait le donner à lire à cinq ou dix personnes et leur demander d'y réagir par écrit. Je ne voudrais pas aller trop loin dans la description de cette procé­dure car c'est le principe qui m'importe: ne pas laisser le magistrat se débrouiller seul et sans aucune aide extérieure. Mais je donnerai quelques pistes. Dans les revues médicales sérieuses, les articles proposés à la rédaction ou sollicités par elle, sont lus par des relecteurs avant publication. Il me semble étonnant que l'on prenne des précautions pour éviter de publier des articles imparfaits et qu'on ne fasse pas un effort au moins d'égale importance pour aider un magistrat à prendre une décision cruciale et difficile. Les relecteurs doivent donner leur avis sur l'expertise. Il n'est pas souhaitable qu'ils connaissent le nom de l'expert. Par ailleurs, si leur réponse doit être écrite et figurer au dossier, il est préférable que leur nom n'apparaisse pas ou seulement de façon codée pour préserver leur anonymat et leur liberté. La procédure de désignation de ces relecteurs ne doit être ni le tirage au sort, ni le respect des grands équilibres (autant de femmes que d'hommes, d'ouvriers que d'artisans, de séminaristes que de gendarmes...). La relecture a pour but d'aider le magistrat. C'est à lui de faire un choix qui sera forcément arbitraire. S'il choisit tous ses relecteurs dans les mêmes cercles ou s'il n'obtient jamais de relectures enrichissantes, il faudra le lui faire remarquer. Cette proposition est volontairement imprécise.

Il ne m'appartient pas de décrire un processus prêt à l'emploi ou "clés en mains". Je voudrais simplement insister sur la dynamique qu'une telle procédure entraînerait. L'expert qui remet son expertise à un magistrat isolé sait que le magistrat ne connaît rien à la technique ou plutôt qu'il a décidé de faire comme s'il n'y connaissait rien. En revanche, s'il sait que son texte sera lu de façon critique, par cinq ou dix personnes choisies par le magistrat pour leurs compétences et leur motivation, il sera conduit à plus de réflexion, plus de nuance et de subtilité. Par ailleurs, on peut imaginer que des journaux médicaux publient des expertises et des commentaires de relecteurs et que les lecteurs soient eux-mêmes invités à réagir. On peut aussi imaginer une analyse comparative des expertises actuelles et de quelques-unes de celles pratiquées il y a dix ou vingt ans.

L'expertise est un art difficile. Il ne peut progresser qu'en sortant du faire-semblant de sérieux pour devenir un processus vivant, observé, enseigné, nuancé, rectifié.


Jean-Pierre LELLOUCHE

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