Les gastro-entérites virales représentent une pathologie infectieuse très fréquente et obligatoire chez tous les jeunes enfants. Elles surviennent par épidémies hivernales surtout, favorisées par la vie en collectivité (crèches, halte-garderies, services hospitaliers) et sont principalement liées à des virus appartenant à la famille des rotavirus.
Deux vaccins vivants contre le rotavirus, administrés par voie orale, sont commercialisés (Rotarix de GSK en 2006 et Rotateq de Merck en 2007). Ils ne sont actuellement pas conseillés par les autorités sanitaires en France, ni donc remboursés. Malgré tout, de fortes pressions, de plus en plus insistantes, émanant des portes-paroles pédiatriques des laboratoires producteurs se multiplient pour que cette vaccination soit recommandée chez tous les jeunes nourrissons et enfin prise en charge par la collectivité.
Une revue médicale pédiatrique (MTP) a publié récemment un numéro consacré à la vaccination anti-rotavirus (1). Il s'agit d'un plaidoyer pour cette vaccination. Au delà de la question technique de la vaccination anti-rotavirus, je voudrais essayer de mieux comprendre ce que cette publication nous dit de l’état de la presse médicale mais aussi de l’état (inquiétant) de l’organisation de la santé publique.
Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) avait donné le 28 mai 2010 un avis relatif à la vaccination contre les rotavirus chez le jeune enfant, en concluant ainsi : "Le HCSP ne recommande pas actuellement la vaccination systématique contre le rotavirus des nourrissons âgés de moins de six mois"(2).
Ses membres avançaient pour cela trois arguments :
- l’absence d'impact significatif attendu sur la mortalité liée aux gastro-entérites virales du nourrisson, du fait de la létalité très faible des infections à rotavirus en France (13 -14 cas par an),
- le risque d’invagination intestinale aiguë post-vaccinal,
- la contamination par des circovirus porcins des deux vaccins.
En 2012, le Guide des vaccinations (3) faisait référence à cet avis pour ne pas recommander ce vaccin. Ce guide faisait connaître l’avis du HCSP mais sans défendre fortement cette position. Il ne mentionnait pas la question des circovirus et tenait à propos du risque d’invagination un discours qui semblait comme "gêné aux entournures", comme en témoignent les "toutefois" et "cependant" :
"Ces études ne suggèrent pas de risque accru d’invagination intestinale aiguë qui avait été identifié avec Rotashield® [MMWR 1999]. Toutefois, les résultats issus de l’analyse des cas d’invaginations intestinales aiguës, rapportés aux systèmes de pharmacovigilance américain et australien, ne permettent pas d’exclure un risque d’augmentation d’invagination après administration de la première dose. Cependant, ce risque est probablement très faible et doit être comparé aux bénéfices de ces vaccins, en particulier pour le nombre d’invaginations intestinales évitées dans la population vaccinée (Patel et al.,2009, Buttery et al., 2010)."
Les virologistes qui publient (4) sur la présence de particules virales contaminantes dans les vaccins contre les rotavirus paraissent aussi parfois gênés de parler d'un sujet assez dérangeant, un peu contre-productif pour la firme productrice (GSK) que l'on ose nommer que par une initiale : "We confirmed that the PCV1 genome in the rotavirus vaccine from manufacturer A is near full-length" . Nous confirmons que le génome PCV1 (du circovirus porcin de type 1) sur presque tout sa longueur est présent dans le vaccin anti-rotavirus de la firme A.
Dans la revue MTP, l'éditorial du Dr Joël Gaudelus a un titre militant engagé "Il est temps de favoriser la vaccination contre le rotavirus" et les articles du dossier sont eux aussi très engagés. Selon les auteurs, le risque lié aux circovirus porcins a été exagérément médiatisé. Il s’agit d’un faux problème et le risque d’invagination est très faible. A l’appui de ces affirmations, les auteurs citent des travaux qui sont loin d’être totalement convaincants. Et s’agissant du risque d’invagination, ils citent l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Or avant de voir ce qu’est cet article sur lequel les auteurs s’appuient, il faut insister sur un élément essentiel qui est très peu connu. L’OMS n'est pas un organisme scientifique. La science médicale est une science relative mais elle obéit à certaines règles. On considère habituellement que lorsque des chercheurs mettent en évidence une donnée ou constatent tel ou tel résultat, ils doivent le publier dans une revue ayant un comité de lecture et accepter de répondre aux questions des lecteurs.
L’OMS, comme le HCSP et comme d’autres organismes, ont besoin des données de la science afin de prendre des décisions les plus conformes possibles aux données de la science, mais ils ne sont pas des lieux où se construit le savoir scientifique. Il est normal que l’OMS s’appuie sur des travaux scientifiques. Il n’est pas normal ou du moins il n’est pas souhaitable que des travaux se voulant scientifiques s’appuient sur les opinions de l’OMS.
Mais voyons cet article de l'OMS (5). On y lit notamment ceci : "Une étude comparable parrainée par GSK Biologicals dans une population différente du Mexique a également trouvé un risque accru d’invagination, qui est multiplié par environ 1,7 au cours des 30 jours suivant la première dose, un groupe de cas survenant dans la semaine suivant la vaccination". Vous avez bien lu "étude parrainée par GSK Biologicals". Et on lit plus loin, dans ce même article "Aux Etats-Unis, les données des CDC et d’une évaluation parrainée par Merck & Co. Inc. n’ont pas mis en évidence un risque accru d’invagination avec le RotaTeq". Parrainée par Merck & Co ! Ainsi pour que l’on comprenne bien : dans la revue MTP, des auteurs (François Denis, Sebastien Hantz et Sophie Alain) affirment qu’une publication de l’OMS considère que le risque d’invagination est faible et l’OMS nous apprend qu’elle s’appuie sur des études parrainées par GSK et Merck.
Pour finir, il importe de préciser que :
- GSK est le fabricant du vaccins Rotarix
- Merck est le fabricant du vaccin Rotateq, distribué en Europe par Sanofi-Pasteur MSD.
- La revue MTP ne comporte que deux publicités, l’une pour le vaccin ROR, Priorix, l’autre pour l’Infanrix-hexa, vaccins qui tous deux sont produits par GSK.
- la plupart des articles se terminent pas la mention "conflits d’intérêts : aucun". Mais, pour deux d’entre eux, après cette mention d'indépendance rédactionnelle, il est écrit, pour l’un "participation à des séminaires de formation continue" et pour l’autre "Interventions ponctuelles (en lien avec le texte publié) : Sanofi-Pasteur-MSD, GSK". Il y a, me semble-t-il, contradiction entre aucun conflit d'intérêts et la suite. S'il n'y a vraiment aucun conflit, il n'y a pas lieu de dire quoi que ce soit de plus.
Sachant que les firmes GSK et Merck ont d’énormes intérêts financiers en jeu, il est surprenant pour un auteur d'un article médical de déclarer n’avoir aucun conflit d’intérêts, sans donner de précisions sur ces interventions qualifiées de "ponctuelles".
Jean-Pierre LELLOUCHE
(1) "Rotavirus: prévention vaccinale". MTP (Médecine thérapeutique Pédiatrie) Vol 15, N°4, octobre-novembre-décembre 2012
(2) HCSP. "Avis relatif à la vaccination contre les rotavirus des nourrissons de moins de 6 mois. 28 mai 2010
(3) INPS, Direction Générale de la Santé, Comité technique des vaccinations. Guide des vaccinations. Edition 2012
(4) Gilliland SM and all. Investigation of porcine circovirus contamination in human vaccines. Biologicals. 2012 Jul;40(4):270-7.
(5) OMS. Relevé épidémiologique hebdomadaire 2011; 5; 86; 37-44
Je retiens dans les dernières lignes du texte ce passage : "Interventions ponctuelles (en lien avec le texte publié) : Sanofi-Pasteur-MSD, GSK"...et
RépondreSupprimer"Sachant que les firmes GSK et Merck ont d’énormes intérêts financiers en jeu, il est surprenant pour un auteur d'un article médical de déclarer n’avoir aucun conflit d’intérêts, sans donner de précisions sur ces interventions qualifiées de ponctuelles."
Je suis infiniment d'accord avec cette remarque. Le marché du Rotateq et du Rotarix sont tous deux des marchés considérables qui se chiffrent en millions d'Euros chaque année.
Si quelqu'un intervient dans un domaine où les profits attendus sont de 100 ou 1000 Euros et si son intervention est de peu d'importance, alors le résultat de son intervention se chiffrera en dizaines ou centaines d'Euros. En revanche dans un marché de plusieurs centaines de millions d'Euros, toute intervention aussi "ponctuelle" soit-elle peut avoir des conséquences considérables en termes d'Euros sonnants et trébuchants.
Parler "d'interventions ponctuelles" dans un tel domaine sans préciser ce que l'on entend par ponctuelle, c'est ne pas informer les lecteurs et c'est ne pas assumer ses responsabilités.
Jean FIORENTINO