
Dans
leur grande majorité, les médecins sont peu intéressés par les
questions d’environnement.
L’environnement a des conséquences sur la
santé, personne ne le nie, mais globalement cela ne passionne pas les médecins.
Pourquoi ?
Je voudrais proposer une hypothèse.
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Quand
un enfant a une leucémie, cela entraîne une inquiétude forte
des parents
et de l’enfant, le médecin est sollicité, quelque chose
d'intense a lieu. Il faut soigner, surveiller et l’on assiste alors à la
guérison ou à la non guérison et la mort. Tout cela est très prenant et
vécu dans un climat émotionnel chargé.
Quand
on se demande si les radiations ionisantes, les radiations
électromagnétiques, les pesticides, le trafic routier ou tout autre
agent polluant (ou combinaison d’agents) majorent le risque de leucémie,
ces questions ont de l’importance mais elles ne concernent pas un
enfant précis, ayant un nom, un visage, des parents, elles concernent
l’ensemble de la population. Il s’agit de montrer que le risque de
maladie augmente, on est dans le domaine des probabilités.
Dans
le premier cas, le médecin est dans une situation que les médecins
connaissent bien depuis Laënnec et Trousseau et même bien avant : un
malade présente des symptômes, le médecin consulté doit diagnostiquer et
traiter.
Dans
le second cas, l’épidémiologiste, qui n’est pas forcément médecin, doit
recueillir des données concernant, non pas une seule personne mais
toute une population, il doit analyser ces données et en tirer des
conclusions. Tout cela se passe non pas au contact direct
d’individus malades mais à distance.
Il
va de soi que le travail du médecin est indispensable. On a besoin
de médecins qui soignent, il va de soi aussi (ou plutôt il devrait aller
de soi) que le travail de l’épidémiologiste est indispensable. Pourtant
ce travail est peu connu, peu apprécié. Le monde médical soignant
traditionnel éprouve un manque d’intérêt et parfois même
de l’hostilité pour le travail des épidémiologistes.
Le
médecin devant un enfant leucémique ne
se demande pas si le fait qu’il
habite tel endroit proche d’une ligne à haute tension a augmenté
la probabilité de leucémie, il ne se demande pas non plus si
les pesticides ou le trafic routier ont joué un rôle, il n’a que faire
de probabilités qui n’auraient eu d’intérêt qu’avant la maladie et qui
sont sans aucune conséquence pour cet enfant là.
Lorsque l’enfant est guéri, le médecin ne dira pas "veni, vidi, vici", mais il le pensera et il entendra avec plaisir dire «il est venu, il a vu, il a vaincu». Si l’évolution n’est pas favorable, il se dira «j’ai fait ce que je devais faire» et on dira de lui «il a fait tout son possible».
Et il est vrai que dans la très grande majorité des cas, les médecins
font leur possible. Il leur arrive d’être inattentifs et peu impliqués
devant des troubles banals, devant des problèmes psychologiques ou
psychosomatiques mais, devant une leucémie, ils sont, à peu près tous,
véritablement présents.
L’épidémiologiste
dit, en substance, qu’il est possible, qu’il existe
dans l’environnement des substances nocives, il est possible que ces
substances nocives soient créées ou majorées par l’activité des hommes,
par des choix en matière d’industrie, de chauffage, de transport.
L’épidémiologie invite à la vigilance mais aussi à l’action citoyenne et
politique. Il ne s’agit pas d’une science dure proposant (ou imposant)
des certitudes, mais d’une tentative, qui se sait imparfaite et
perfectible, de mieux comprendre, pour être un peu plus prudent (un peu
moins casse-cou et irresponsable).
Idéalement,
le médecin aimerait se représenter son rôle comme celui d‘un technicien
ayant un savoir scientifique qu’il appliquerait comme un artiste, et
idéalement la population aimerait qu’il en soit ainsi.
Idéalement, le médecin aimerait avoir affaire à des maladies considérées
comme des dérèglements biologiques en rapport avec la génétique ou
les métabolismes ou des microbes ou à «pas de chance». Il
peut alors rêver d’éradiquer tel ou tel microbe, il peut rêver de
repérer et de corriger telle ou telle anomalie métabolique et
la population a envie (et besoin ?) de rêver avec lui. L’épidémiologiste
est celui qui dit que tout dans la vie n’est pas de l’ordre du rêve, il
est celui qui rappelle quelques éléments du réel et certaines limites
de ce réel. Et il dit aussi que tout ne se passe pas dans l’intimité
de la cellule ou de l’organe malade, que tout ne se limite pas au seul
individu déjà malade. Il dit que l’environnement doit être étudié et
éventuellement modifié. Et ces modifications ne seront pas l’œuvre des
seuls médecins pratiquant la médecine (un art basé sur une science et
dont on dit «il est venu, il a vu, il a vaincu»), mais de tous les citoyens.
JPL./ DLH.
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