Le TAMIFLU (nom commercial de l'oseltamivir) est une molécule commercialisée par les laboratoires ROCHE depuis 2002 comme étant un antiviral actif sur les virus de la grippe. Ce produit a eu son heure de gloire en France lors de l'hiver 2009. Notre ministre de la santé de l'époque, qui en avait fait stocker des millions de boites (1), préconisait de les faire distribuer gratuitement, au milieu d'une épidémie de grippe H1N1 qui avait déjà fait acheter 94 millions de doses vaccinales dont on sait que la plupart furent finalement détruites.
Le TAMIFLU serait donc actif, selon la fiche du dictionnaire VIDAL, à la fois de façon préventive (en cas d'exposition avec une personne grippée en période épidémique) mais aussi curative, avec une efficacité qui aurait été démontrée à condition que le traitement soit instauré dans les 2 jours suivant le début des symptômes. Le TAMIFLU n'est prescrit que sur ordonnance. La boîte de 10 gélules de 75 mg (dosage adulte) est vendue 24,85 €, prise en charge à 30% par la CPAM.
En ce qui concerne sa sécurité, le laboratoire ROCHE nous affirme dans cette même fiche que des données ont été collectées "lors des études cliniques chez 6049 patients adultes/adolescents et 1473 enfants traités pour la grippe par Tamiflu ou un placebo, et 3990 patients adultes/adolescents et 253 enfants traités par Tamiflu ou un placebo/sans traitement pour la prophylaxie de la grippe". Les effets indésirables possibles les plus souvent décrits sont des réactions allergiques parfois sévères (anaphylaxie), des effets neurologiques (céphalées, vertiges, agitation, délire, confusion, insomnie…), des troubles digestifs (vomissements, douleurs abdominales…), des pathologies cutanées pouvant être graves (érythème polymorphe, syndrome de Stevens-Johnson, nécrolyse épidermique toxique).
Que disent nos "autorités sanitaires" de ce médicament?
- Pour l'INVS (Institut national de veille sanitaire), le traitement de la grippe est "avant tout dirigé contre les symptômes : médicaments contre la fièvre, les douleurs…Il existe également un traitement spécifique qui fait appel aux antiviraux mais dont l’utilisation reste limitée. Pris précocement, il diminue alors la durée et l’intensité des symptômes. Le traitement par antiviraux ne remplace pas la vaccination contre la grippe."
- De même, pour les responsables de la HAS (Haute autorité de santé), un avis émis en 2011 dit que ce produit ne saurait être systématique et banalisé pour toutes les personnes atteintes de grippe (2). Il pourrait être réservé aux formes sévères ou aux formes survenant dans un contexte de risque de complications (grossesse, déficit immunitaire).
Son efficacité est estimée comme étant minime : "Les données de l’évaluation initiale avaient montré une efficacité minime (réduction de 1 jour de la durée de la grippe) dans le cadre d’un traitement curatif de la grippe sur une population sans facteur particulier de gravité...Chez le nourrisson de moins d’un an, l’efficacité de TAMIFLU en traitement curatif n’a pas été démontrée, mais est extrapolée à partir des données chez l’enfant plus grand." Le SMR (service médical rendu) est donc jugé insuffisant pour le traitement curatif.
En ce qui concerne le traitement prophylactique, en cas d'exposition auprès d'une personne atteinte de grippe, le SMR est également jugé insuffisant en l'absence de facteur de risque de grippe grave. Pour ces populations atteintes d'une affection risquant de favoriser une complication, ce SMR reste faible.
- Par contre, en 2012, les responsables du HCSP (Haut conseil de santé publique) se montrent beaucoup plus optimistes quant à l'efficacité des traitements spécifiques du virus grippal à la suite d'un relecture de la littérature internationale (3). "Les antiviraux (inhibiteurs de la neuraminidase) ont une efficacité démontrée en traitement curatif sur la réduction du risque d’hospitalisation dans les cas de grippes saisonnières touchant des personnes à risque de complications... En période de circulation des virus de la grippe saisonnière, le HCSP recommande donc une utilisation ciblée des antiviraux en population générale et dans les collectivités de personnes à risque aussi bien en traitement curatif qu’en traitement post-exposition. L’efficacité du traitement étant corrélée à la précocité de son administration, celui-ci doit être initié le plus rapidement possible, sans attendre le résultat du test de confirmation virologique du diagnostic s’il a été réalisé."
Il est malgré tout impératif de ne pas banaliser cette prescription pour le patient grippé lambda: "Le HCSP ne recommande pas l’utilisation des antiviraux en curatif ou en post-exposition chez les personnes sans facteur de risque de complications grippales graves."
Et la littérature médicale indépendante ?
- La revue française PRESCRIRE (4) écrivait lors de la commercialisation en 2002 que trois essais, réalisés dans la population adulte générale en traitement préventif, n'avaient montré qu'un effet très modeste (diminution de 3,5 à 4% des épisodes grippaux).
Lors d'un traitement symptomatique pour une grippe avérée, lors de deux essais chez l'adulte, et un autre chez l'enfant, son utilisation contre placebo raccourcirait l'évolution spontanée de 24 h. Un essai chez des adultes jugés à risque de grippe compliquée et un autre chez des enfants asthmatiques n'ont pas montré de réduction des complications grippales.
- Qu'en pense la collaboration internationale COCHRANE ? Peter Gøtzsche, le directeur du Nordic Cochrane Center de Copenhague qui collabore avec le BMJ (British medical journal) est en conflit avec le laboratoire Roche depuis la pandémie de grippe H1N1 de 2009 qui avait occasionné des dépenses de nombreux pays du fait de l'achat injustifié de millions de boites de TAMIFLU. "Je suggère que l'on boycotte le produit de Roche tant qu'ils n'ont pas rendu publiques toutes les données sur le Tamiflu", a-t-il déclaré fin 2012 (5). Les responsables du laboratoires Roche auraient en effet "oublié" de publier 60% des données complètes liées à 15 études cliniques menées sur l'activité thérapeutique de l'oseltamivir, tandis que les données publiées présentent des biais manifestes. Malgré cinq requêtes, les responsables de Roche ont refusé de communiquer leurs données cliniques de ces essais. Ils ont simplement fini par adresser des résumés d'articles, considérant que cela suffisait à rassurer la curiosité mal placée de l'association Cochrane.
Une publication récente de la Cochrane Library (6) vient de faire le point sur les données connues. Cette équipe d'épidémiologistes a pu finalement récupérer et examiner des rapports d'études cliniques d'essais randomisés contrôlés contre placebo dont une grande partie n'avaient jamais été publiée. Il a été inclus et analysé les données provenant de 25 études, principalement chez l'adulte (15 sur l'oseltamivir et 10 sur son concurrent le zanamivir). Ont été laissées de côté les données de 42 autres études, en raison du manque d'information ou de divergences non résolues dans leurs données.
Les résultats montrent un raccourcissement des symptômes grippaux d'environ 21 heures dans le groupe traité par rapport au placebo. Il n'y a aucune preuve tangible, à propos de 7 études, d'efficacité sur la prévention d'une hospitalisation. Il existe une impossibilité de tirer des conclusions quant à l'effet sur les complications potentielles de la grippe ou l'éviction d'une transmission du virus. Les rapports d'études cliniques complets de Roche seront nécessaires pour cela.
Des incohérences ont aussi été relevées par rapport aux effets indésirables graves. Alors que certains rapports d'essais non publiés mentionnent des complications possiblement liées à l'oseltamivir, l'une des deux publications scientifiques les plus citées ne fait aucune mention de tels effets, et précise même qu'il n'y avait pas d’événements indésirables graves liés au médicament. En fait, les données suggèrent fortement que les deux médicaments sont associés à des effets néfastes (oseltamivir surtout des vomissements et zanamivir probablement de l'asthme).
Quand l'EMA en rajoute une couche…
Autre souci pour le laboratoire, l'Agence européenne du médicament (EMA) l'accuse de ne pas avoir transmis aux autorités sanitaires les données de plus de 100.000 dossiers de patients, pour 19 médicaments déjà commercialisés, des anticancéreux et des antiviraux dont le TAMIFLU (7). Cette agence avait pourtant renouvelé auparavant, en mars 2012, l’autorisation de mise sur le marché, assortie de conditions incluant l’obligation par le laboratoire de continuer à déposer des rapports actualisés (8). L'EMA vient d'engager une procédure sans précédent contre le groupe pharmaceutique suisse. Celui-ci aurait "failli à ses obligations de pharmacovigilance concernant dix-neuf produits ayant bénéficié de la procédure d'autorisation centralisée". C'est une inspection de routine, menée en janvier et février 2012, sur un site anglais du laboratoire, qui est à l'origine de la procédure d'infraction. Dans les mois qui viennent, la procédure lancée par l'EMA aura notamment pour objet "d'estimer si ces déficiences peuvent avoir un impact sur le rapport bénéfice/risque de chacun des médicaments" (9)
Le professeur Bruno LINA, directeur du Centre national de référence de la grippe, reconnaît qu'il «n'existe pas d'essai clinique réalisé dans les règles qui permet de prouver l'efficacité du Tamiflu contre les cas de grippes sévères». Il note en revanche que «de nombreuses études observationnelles lors des épidémies de grippe sévère montrent qu'il semble réduire le nombre de morts dans les pays qui l'ont utilisé". Les liens d’intérêts de cet expert ès-grippe rendent son avis très relatif, surtout quand on se remémore ses discours lors de l’épidémie de grippe à virus H1N1 de 2009 (10).
Attendons les conclusions de l'Agence européenne pour savoir si le TAMIFLU n'est pas tout simplement un placebo de luxe qui a surtout permis au laboratoire producteur d'empocher des bénéfices pour ses actionnaires. En attendant, pour les moins septiques, on peut toujours se laisser bercer par les slogans que ROCHE affiche sur son site: "Notre vision de la recherche : la science au bénéfice des patients" qui est devenu ensuite "L’innovation médicale est dans notre ADN".
Dominique LE HOUEZEC
Mise à jour (5.12.2020)
Mi-2020, la HAS a enfin conclu a un service médical rendu "insuffisant" dans le traitement de la grippe et "faible" en traitement préventif avec l'absente de réduction de la mortalité ou de complications graves grippales. Ceci devrait conduire en principe à un déremboursement du Tamiflu. La prévention de la grippe repose donc sur des mesure d'hygiène (lavages des mains) plus un confinement pour les personnes à risque et une vaccination en début d'hiver chez ces mêmes sujets (même si ce vaccin a une efficacité très relative).
(1) Jean-Yves Nau "Sérieux doutes sur l'efficacité du Tamiflu" Slate.fr 08.05.2009
(2) HAS Osteltamivir. Intérêt clinique faible dans le traitement curatif de la grippe sévère ou compliquée d’emblée, ou en cas de facteurs de risque de complications. 2 nov. 2011
(3) HCSP Utilisation des antiviraux en extrahospitalier en période de grippe saisonnière. 9 nov. 2012
(4) "Oseltamivir. Un antiviral sans grand effet sur la grippe". Rev. Prescrire, Nov. 2002, 22 -233 : 725-730
(5) Peter C Gøtzsche "Open letter to Roche about oseltamivir trial data". BMJ. 8 nov. 2012
(6) Jefferson T, Jones MA, Doshi P, Del Mar CB, Heneghan CJ, Hama R, Thompson MJ. "A review of unpublished regulatory information from trials of neuraminidase inhibitors (Tamiflu - oseltamivir and Relenza - zanamivir) for influenza" Cochrane Database of Systematic Reviews 2012, Issue 1. Art. No.: CD008965. 28.02.2013
(7) EMA Questions and answers on the assessment of the deficiencies in the safety reporting system at Roche Registration Ltd. 23 oct 2012
(8) EMA Assessment report on the renewal of the marketing authorisation for Tamiflu. 15 mars 2012
(9) Delphine Chayet, Damien Mascret "Médicaments : les défaillances de Roche" Le Figaro 25 oct 2012
(10) FORMINDEP Grippe A et indépendance des experts. Le Formindep supplie le Professeur Bruno Lina de rejoindre ses rangs. 1er avril 2010
Dans ton texte, tu donnes une référence (5) Peter C.Gøtzsche "Open letter to Roche about oseltamivir trial data". BMJ. 8 nov. 2012.
RépondreSupprimerJe l’ai lue et je la trouve vraiment très intéressante. L’auteur dit en substance que puisque le Tamiflu n’a pas d’intérêt majeur et puisque Roche l’a promu en trafiquant un peu les données et en ne faisant pas connaître tous les travaux et puisque Roche a ainsi gagné beaucoup d’argent, les gouvernements européens devraient poursuivre Roche afin d’obtenir que Roche leur rende l’argent.
Il dit que les états européens devraient poursuivre Roche « to get the money back they had spent on needlessly stockpiling Tamiflu ».
Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est que à sa question pourquoi les états européens ne poursuivent-ils pas Roche ? Quelqu’un lui a répondu en aparté « les états ont peur que les débats fassent apparaître la médiocrité de leurs pratiques, ils préfèrent perdre quelques milliards que de perdre la face ».
Jean-Pierre LELLOUCHE