"Le 12 septembre 2011, la sécurité routière a annoncé une baisse de 3,9% des morts par accident de la route. La presse par un calcul magique a retiré, retranché les 368 morts d’août 2011 des 383 morts d’août 2010 et a déclaré sans vergogne que 15 vies avaient été épargnées. Alors quelles sont ces vies sauvées, quels sont ces heureux élus qui n'ont pas eu d'accident de la route ? Vous les connaissez vous ces rescapés ? Ces 15 vies sauvées n’existent pas, ce sont des fantômes, ces 15 vies sauvées. En diminuant le nombre des accidentés de la route, nous n'avons sauvé personne. Les morts en moins ne sont pas des vivants en plus. On ne sauve pas les gens qui ne meurent pas... Pourquoi transformer des 15 non-morts en 15 vies sauvées ?" C'est cette question que se posait avec clairvoyance le philosophe Raphaël ENTHOVEN le 3 avril 2012 sur une radio nationale (1)
Cette vision optimiste des médias à propos des résultats de la mortalité routière est volontiers utilisée dans la plupart des journaux. De façon encore plus choquante, on pourrait voir écrit "Bons chiffres de la sécurité routière, 368 morts en un mois". Il faut positiver nous dira-t-on. La société, c'est à dire nous tous, nous aurions donc ainsi sauvé 15 personnes en faisant preuve de civisme et de respect du code de la route. C'est bien sûr réconfortant et encourageant de se sentir un sauveteur de vies lorsque l'on prend le volant, mais c'est aussi délirant et irréel.
Quelle est la situation réelle en matière de sécurité routière ?
L'époque des "trente glorieuses" s'est accompagnée, dans tous les pays industrialisés, de l'apparition d'une civilisation motorisée rendue possible par la croissance économique et l'accès pour Monsieur tout-le-monde à son automobile familiale. Au fil des années, l'augmentation du nombre de véhicules présents sur un circuit routier, pas toujours adapté, à abouti à une impressionnante augmentation du nombre d'accidents de la route dans tous les pays industrialisés. La France s'est particulièrement distinguée dans ce qui a fait parler à juste titre "d'hécatombe routière" (plus de 18.000 victimes en 1972). Cette prise de conscience dans tous les pays européens a permis, grâce à des mesures successives de réglementations de plus en plus strictes, d'assister à partir des années 1970 à une baisse régulière du nombre de tués dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest.
Quelle évolution en France ? C'est l'ONISR (Observatoire national interministériel de sécurité routière) qui édite chaque année, depuis 1993, un document d’information sur ce thème (2) :
- le nombre d'accidents va ainsi passer de 184.615 en 1986 à 69. 379 pour 2010
- le nombre de tués diminue régulièrement mais trop lentement. Alors que ce chiffre atteignait les 18.000 victimes en 1972, il a pu, grâce à toute une série de mesures efficaces, ne causer "que" 3.000 décès environ fin 2013, chiffre bien sûr encore insupportable (le nombre de décès était comptabilisé à 6 jours avant 2005 et à 30 jours depuis, afin d'éviter une sous-estimation des accidents mortels)
Nombre de tués en France métropolitaine 1970-2013 |
Quels sont les facteurs accidentogènes ? Les chiffres de la sécurité routière sont incontournables et sans appel.
- La vitesse est le second prédateur accidentogène. Un accident mortel sur 5 est dû à cette vitesse non respectée. Ce n'est pas la vitesse en elle-même qui tue, mais bien sûr le freinage défectueux ou insuffisant, découlant d'une vitesse excessive en cas d'obstacle imprévu. Le champ visuel est réduit (70° à 100 km/h) et la distance de freinage d'autant plus longue que la vitesse est élevée (10 mètres en ville lorsque l'on roule à 50 km/h) et encore plus sur route humide. Malgré ces faits bien connus, 45% des conducteurs, probablement trop pressés, roulent volontiers à plus de 65 km/h en ville (7), imaginant que leurs réflexes infaillibles les mettraient à l'abri de tout obstacle inattendu, tel un jeune enfant traversant la route en courant. Sur autoroute, ce sont 19% des personnes interrogées lors de même sondage de la SOFRES qui reconnaissent rouler couramment à des vitesses de 160 à 170 km/h.
- L'absence d'utilisation de la ceinture de sécurité. L’ONISIR a comptabilisé qu’environ un tiers des enfants de moins de 10 ans ayant été tués sur la route n’étaient pas attachés, soit 100 à 110 enfants en 2004 (6). Le même rapport estime que, sur autoroute, pratiquement un enfant sur quatre de moins de 10 /12 ans ne porte pas de ceinture à l’arrière des véhicules. Ces chiffres se sont heureusement améliorés depuis, la ceinture étant passée désormais dans les mœurs.
- La fatigue est une cause également non négligeable d'accident. Selon les chiffres de la sécurité routière, sur autoroute, un accident mortel sur 3 est dû à un endormissement. Moins de 5 heures de sommeil la veille d'un départ multiplie par 3 le risque d'accident. Rester volontairement éveillé longtemps pour parcourir plus de km a les mêmes effets négatifs sur la vigilance que la prise d'alcool. Si 85 % des conducteurs estiment qu'il est dangereux de prendre le volant en étant fatigués, 47 % n'hésitent pourtant pas à le faire (7). Faites ce que je dis et pas ce que je fais. Pour les personnes intéressées par ce problème , des conseils concrets sont en ligne sur le site de la sécurité routière.
Dix conseils pour s'empêcher de téléphoner au volant, voilà qui peut être utile, à consulter sur le site de la sécurité routière encore.
Quelles sont les mesures préventives qui ont été prises?
- Le port obligatoire de la ceinture a été un progrès indéniable dans la diminution des chiffres d'accidents. Son utilisation fut imposée en 1973 pour les places avant puis généralisée en 1990 pour toutes les places assises, avant et arrière. La mise en place de dispositifs adaptés à chaque âge des enfants transportés a aussi été bien évidemment bénéfique. Il avait été estimé à l'époque que 40% des accidents mortels chez l’enfant passager surviennent lors de trajets courants, inférieurs à 3 km. Depuis 2003 a été rajoutée l’obligation du port de la ceinture de sécurité aux occupants des véhicules de transport en commun, lorsque les sièges en sont équipés.
Pour les têtes en l'air et les rebelles, qu'ils se rappellent qu'un choc à 50 km/h sans ceinture équivaut à une chute de quatre étages (10 mètres). Il faut donc bien évidemment "s'accrocher à la vie" et ne pas oublier d'accrocher les plus jeunes, ce qui n'est pas encore rentré dans les habitudes de certains parents. La règle d'or est donc "une personne = une place = une ceinture".
Si l'on rentre dans le détail, on s’aperçoit qu'entre les périodes 2001 et 2010, il a été noté au cours des accidents mortels:
- une diminution de 25% à 6% des grands dépassements de vitesse (> 20 km/h)
- une diminution des dépassements de vitesse moyens (10 à 20 km/h) de 13 à 9%
- et paradoxalement un doublement, de 7% à 13%, des petits excès de vitesse (< 10 km/h), laissant à penser que les conducteurs pressés s’autorisent volontiers à s'arranger avec la règle en s'estimant dans la limite de la tolérance légale. Cependant ceci les fait rentrer dans la catégorie des conducteurs à risque puisqu'en 2010, c'était quasiment la moitié (46%) des accidents mortels qui ne s’accompagnaient que d'une vitesse excessive modérée. Moralité, il n'y a donc pas de "petit" excès de vitesse.
La baisse de la mortalité suit la baisse de la vitesse |
Le déploiement de radars mobiles embarqués sur des véhicules banalisés (20 au 15.03.2013) devrait renforcer sérieusement cette peur du gendarme qui est bien sûr salutaire et cette obligation de respecter la loi et la vitesse définie par le législateur pour le bien et la sécurité de chacun.
- L'instauration du permis à points (1992) a également permis de faire un pas de plus en arrière dans ce système organisé de prise de risques inutiles, dangereux et parfois criminels. Les modifications des règles (2011) de récupération des points ont été immédiatement suivies d'une dégradation brutale des comportements sur les routes comme l'avait prédit la Ligue contre la violence routière. Régulièrement, on assiste depuis à des tentatives de certains députés d’assouplir les règles de ce permis à points. Ce message serait à nouveau une invitation à augmenter sa vitesse et d'autant le nombre de morts. En cherchant à apaiser la grogne des automobilistes, ces députés ont perdu de vue l'enjeu principal du permis à points qui est de sauver des vies. Ces propositions ne peuvent pas être qualifiées de propositions pour la sécurité routière, ce ne sont que des propositions pour gagner des voix.
L’arrêt de la pratique aussi traditionnelle qu'incompréhensible des indulgences ou des amnisties à l'occasion des élections présidentielles a aussi permis un juste rappel à la loi d'un Code de la route qui se devait de ne pas être à géométrie variable et se retrouver placé entre parenthèses dans une optique purement électoraliste.
Que pouvons-nous faire individuellement ?
Les automobilistes hyper-connectés minimisent les risques de l’utilisation du domaine public routier. On se sent trop dans un véhicule automobile comme dans une "bulle", un "petit chez soi" où presque tout serait permis pour un pilote "autoproclamé" parfait conducteur. Ceci autorise les transgressions qui se banalisent et deviennent routinières, jusqu'au jour fatidique où...
Une autre piste de réflexion est représenté par un changement de notre mode de vie du "tout automobile". L'utilisation déraisonnable de l'automobile n'est pas remise en cause du fait de sa place dans l'économie et dans l'emploi (parc automobile français de 38 millions de véhicules au 1er janvier 2012, soit plus d'un véhicule pour deux habitants). Une alternative politique serait de favoriser l'habitat près du lieu de travail, de développer le réseau des transports en commun et le co-voiturage ainsi que celui des modes actifs (vélo et marche à pied ) en milieu urbain.
L'accident de la route n'est pas, sauf rares exceptions, inévitable. Il ne faut plus le considérer comme une fatalité, la faute à "pas de chance", un fait incompressible, lié à la nature humaine et à notre société motorisée. Chacun de nous a, dans sa famille ou ses connaissances, une ou plusieurs personnes victimes de ces délits routiers quotidiens et négligés. Nous ne pouvons pas vraiment "sauver des vies", comme l'expliquait au début le philosophe, mais nous devons, tout du moins, nous efforcer de ne pas en briser ou en gâcher en respectant la loi de la route qui est bonne pour tout citoyen digne de ce nom.
Dominique LE HOUEZEC
(1) "Les derniers chiffres de la sécurité routière, le sophisme des vies sauvées". France Culture, 3 avril 2012, "Le monde selon Raphael ENTHOVEN"
(3) OEDT (Observatoire français des drogues et toxicomanies). "Projet DRUID: Conduite sous l'influence des drogues, de l'alcool et des médicaments". 17.12.2012
(4) Pondération. Bulletin de la Ligue contre la violence routière N°93, été 2012
(5) BEH "Estimation de la morbidité routière, France, 1996-2004" - INVS 6 mai 2008
(6) Obligation du port de la ceinture de sécurité dans les véhicules de moins de 9 places. Conseil national des transports - juin 2005
(7) La Dépêche 18.4.2013 "9e baromètre d'Axa Prévention", réalisé par la SOFRES
Je trouve ton texte très intéressant. Tu nous rappelles un certain nombre de choses que l'on sait en général mais qu'il est bon de rappeler (Alcool, vitesse, somnolence, portables etc) et tu signales des sites qui donnent des conseils utiles.
RépondreSupprimerMais il me semble que ton message s'adresse principalement à l'adulte rationnel.Il me semble que tous les adultes ne sont pas tout le temps rationnels mais je voudrais dire quelques mots sur les prises de risques excessives par les adolescents.
Beaucoup d'adolescents ou de jeunes adultes savent tout ce que tu as rappelé. Mais ils se disent "tout cela est vrai en général mais moi je suis différent". Ils prennent le volant après avoir bu ou en ayant peu dormi parce qu'ils croient en leur bonne étoile, parce qu'ils ne veulent pas paraître moins "courageux"que leurs copains, pour ne pas se dégonfler, pour ne pas être des "mauviettes".
Il y a toute une "culture" de la violence routière. Il faut œuvrer dans le sens d'une culture de la prudence, de la sécurité, du respect de soi et des autres, mais cela prend du temps et n'est pas seulement limité à la sécurité sur les routes.
Jean-Pierre LELLOUCHE
Rouler bison solidaire et citoyen! Vaste sujet et tant étudié! Mais nous pouvons aussi envisager toute sorte de conduite terrestre, maritime voire aérienne.
RépondreSupprimerL’accidentologie dans tous ces domaines ne met en cause un élément mécanique ou la défaillance d’un système que dans 5% des cas (en moyenne 2 à 3 % en aéronautique, 5 à 10 % en maritime, et 5% et plus, selon le véhicule en transport terrestre).
C’est donc dans 95% des cas un facteur humain qui est en cause en accidentologie. Une approche qualitative de ces facteurs peut se décomposer en arborescence des causes :
En simplifiant, dans l’ordre,
- la maintenance du véhicule (révision, contrôle, sécurité…, de la voiture à pédale au "4x4 char d’assaut"
- la méthode de conduite, la formation étant un facteur essentiel dans la mise œuvre de la prévention (conduite accompagnée, permis à 6 points, stage de 2 jours des formations continues et recyclages)
- l’organisation du traffic (flux de circulation, signalétique...)
peuvent être à l'origine d'un accident ou non. Des facteurs humainsq (psychologique, stress…) contrôlent 95% de ces items.
En présentant le responsable d’un accident par un seul "coupable" (substance illicite, vitesse…), on ne désigne que des paramètres mesurables et plus ou moins objectifs selon la méthode de mesure.
C’est bien le comportement citoyen et social dans sa globalité qui est le principal responsable ainsi que l’environnement urbain. La voiture individuelle reste-elle un transport d’avenir et/ou doit-on tout simplement réduire la vitesse de déplacement de chacun ? Est-on toujours obligé de prendre notre véhicule et dans quelles conditions ? C’est une approche différente à mettre en œuvre en matière de prévention routière. Un exemple, déposer son enfant à l’école...Il pleut, le véhicule doit absolument se rapprocher de l’entrée du portail... Combien de conduites dangereuses dans ces situations où nos enfants sont les témoins que marcher tout simplement dans la rue n’est plus envisageable.
Repenser nos déplacements, diminuer les risques, chacun peut l’envisager, c’est économique, écologique et solidaire !
Christian LE HOUEZEC