Nous sommes mortels et nous n’avons pas trop envie qu’on nous le dise. Au cours de notre vie, certains d’entre nous ont vécu ou auront à vivre des moments douloureux, des difficultés et tout cela ne peut pas toujours être atténué autant que nous aimerions. Nous sommes donc confrontés à la mort et aux limites de la médecine et nous n’avons pas envie de le savoir de façon trop précise.
Si les médecins étaient sérieux, s’ils avaient le temps et l’occasion de réfléchir, s’ils disposaient de revues où ils pourraient publier, de lieux où ils pourraient se rencontrer et où chacun pourrait parler calmement et sérieusement à d’autres qui les écouteraient en les respectant puis qui parleraient eux-mêmes en étant entendus et respectés, ces médecins aboutiraient à un consensus sur au moins un point, nous sommes mortels. Et ils seraient aussi d’accord sur un autre point,
la médecine ne peut pas tout.
Je fais l’hypothèse que ce que j’appelle la bêtise en médecine permet de ne pas accepter pleinement de prendre acte de notre situation de mortels. J’essaierai de préciser ce qu'est notre bêtise, d'en donner quelques exemples et de montrer qu'il y a un lien entre cette bêtise et notre désir d’aveuglement.
Pour aborder vraiment les problèmes de santé, il faut d’une part les aborder sérieusement et d’autre part veiller à ce que d’autres ne viennent pas mettre du désordre, des idées erronées et intéressées ni proposer de fausses pistes. Les aborder sérieusement, cela signifie travailler, réfléchir, échanger. C’est difficile, çela prend du temps et l'on n’arrive pas immédiatement à des résultats spectaculaires. Il faut par ailleurs de l’argent pour organiser des colloques et publier des revues. Il faut aussi vérifier que d’autres ne sabotent pas ce travail ou que d’autres qui n’ont pas d’intérêt particulier pour la santé publique ne construisent pas un système visant à satisfaire leurs propres intérêts.
Pour le dire de façon plus claire, il existe en France un Président de la République, un premier ministre, un gouvernement, des députés... et ces personnes, les organismes qu’ils dirigent devraient penser une politique de santé et la mettre en œuvre. Cela est fait, mais de façon très imparfaite, très molle, sans cohérence, sans suivi.
Si bien que, lorsque quelqu’un se demande s’il doit faire vacciner son enfant ou s’il doit le sevrer et lui donner des petits pots ou, que faire devant ses fesses rouges, il ne trouvera pas de réponse venant des autorités officielles, mais une pléthore de réponses venues d’innombrables officines. Certaines sont des émanations directes de laboratoires pharmaceutiques et ne s’en cachent pas, d’autres sont des émanations indirectes de ces mêmes labos et s’en cachent.
Ecrivez sur Google "vaccination contre le papillomavirus", il vous sera proposé en premier le site de "Vaccine today" qui se présente ainsi [1] « Vaccines Today est une plateforme de discussion sur les vaccins et la vaccination. Le portail, sponsorisé par Vaccines Europe, a pour vocation de fournir des outils interactifs de discussion, mais se veut aussi être une source d’informations fiables écrites par un éditeur, en collaboration avec un comité de rédaction composé d’experts et de cadres de différentes organisations membres de Vaccines Europe (GSK Biologicals, Sanofi Pasteur, Crucell, Novartis Vaccines, Pfizer, Baxter AG, Abbott, MSD, et Sanofi Pasteur-MSD) »
Allez dans une pharmacie, vous y trouverez des brochures d’informations, soit éditées par des laboratoires et recommandant leurs produits, soit sponsorisées par ces mêmes laboratoires et recommandant souvent leurs produits.
Mais tout cela, faiblesse du sérieux institutionnel et pléthore d’avis intéressés est connue. De même qu’est connue la relation entre les deux, c’est parce que les autorités légitimes sont peu compétentes et peu présentes que des sources illégitimes prennent autant de place.
Mais un phénomène nouveau, qui prend de plus en plus d’importance, doit être signalé. Il est fait de l’association entre le ludique, la désintégration du langage médical et le développement d’Internet.
Sur le ludique, je ne dirai rien. Tout le monde sait qu’il a envahi les médias et qu‘il a été proposé de nommer l’homme, non pas "homo sapiens", mais "homo ludens ludens". La médecine et la santé ne font pas exception, même si le phénomène y est probablement plus marqué (et encore moins acceptable).
Sur le développement d'Internet, je voudrais préciser que beaucoup de médecins reçoivent de très nombreux messages qu’ils n’ont pas demandé à recevoir, ou qu’ils ont demandé plusieurs années auparavant, sans pouvoir obtenir que les émetteurs (souvent sponsorisés par des laboratoires pharmaceutiques) mettent un terme à leurs envois.
Mais c’est la désintégration du langage médical qui est l’élément le plus préoccupant. Les médecins reçoivent une avalanche d’articles et, parmi eux, un article sur "Les accros au NS". Lorsqu’on lit l’article, on comprend que l’on veut parler des médecins qui écrivent systématiquement "non substituable" sur leurs ordonnances. Ce sont des médecins qui ne veulent pas que le pharmacien délivre un médicament générique. Il y a là une question qui devrait être abordée et débattue sérieusement. Or cette source (gratuite) n’a pas vocation à sensibiliser, à responsabiliser les médecins, elle a vocation à les distraire, à les amuser et à les préparer à recevoir demain d’autres messages tout aussi superficiels, tout aussi amusants, tout aussi déresponsabilisants.
Des messages qui contiendront des abréviations, des sigles, des anglicismes, des jeux de mots. Des messages qui feront oublier au médecin qu’il est un être mortel ayant à faire à des êtres eux aussi mortels.
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